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devint bientôt une lutte entre la Neustrie et l’Austrasie, entre les deux esprits qui divisaient les deux tribus des Francs.

À Metz, on était resté Germain ; à Soissons, on avait dégénéré ; en Austrasie, on voulait la guerre et de nouvelles conquêtes ; en Neustrie, on ne désirait que la paix et les plaisirs. Entre la mollesse et l’énergie la victoire ne pouvait être douteuse. Il se forma dans l’Austrasie une sorte de république aristocratique qu’un homme parvint bientôt à conduire, Pepin d’Héristall. Il sut grouper autour de lui des Saxons, des Frisons, des Cattes et des Thuringiens, c’est-à-dire qu’il eut sous la main toute la force germanique. À Testry, il triompha des Neustriens, et, sans prendre le titre de roi, il put gouverner avec une égale autorité l’Austrasie et la Neustrie. Celui de ses fils qu’il aimait le moins se trouve un héros et continue son œuvre : il assure la domination de l’esprit allemand ; au commencement du VIIIe siècle, les Francs orientaux sont formidables et les Sarrasins peuvent venir.

Quand la hache d’armes de Charles dit Martel eut brisé l’étendard du croissant dans les plaines de Poitiers, les affaires de l’Europe chrétienne prirent de la grandeur et de la généralité. Le Franc avait abattu l’Arabe, et cette victoire donnait à l’Occident conscience de lui-même. Dans l’intérieur des tribus franques, le commandement ne pouvait plus échapper aux hommes de l’Austrasie, et parmi les Austrasiens, à une famille qui comptait déjà deux héros, d’autant plus que le même sang en produisit d’autres. La Grèce avait fini par Alexandre, Rome républicaine, par César ; Dieu voulut que l’Europe moderne commençât par Charlemagne.

Le père de cet homme, qui était fils de Charles Martel, se fatigua de gouverner l’Austrasie et la Neustrie sous le nom de maire du palais, et il se prit à penser que, puisqu’il avait les vertus d’un roi, il devait en avoir le titre. Le temps lui semblait venu de faire échanger à Childéric III le trône contre le cloître. « Il envoya Burchard, évêque de Wurtzbourg, et le prêtre Fulrad, à Rome, au pape Zacharie, pour consulter le pontife au sujet des rois qui existaient alors dans la Francia, qui avaient le nom, mais point la puissance. Par leur entremise, le pontife répondit qu’il valait mieux que celui-là fût roi, en qui résidait la réalité de la puissance, et de son autorité il décida que Pépin devait être constitué roi[1]. » L’année suivante, pour achever de transcrire le récit de l’annaliste Éginhard, Pépin, en

  1. « Burchardus Wirtziburgensis episcopus et Folradus presbyter capellanus missi sunt Romam ad Zachariam papam, ut consulerent pontificem de causa regum qui isto tempore