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REVUE. — CHRONIQUE.

représentatif en France est celle qui blâme le plus sévèrement les chefs de la coalition. D’ailleurs, M. Royer-Collard ne faisait pas à la restauration une guerre de portefeuilles, et ce n’était pas non plus pour être ministres que M. Pasquier et M. Hyde de Neuville s’étaient séparés du gouvernement. En général, M. Thiers fera bien de se défier de ce goût de parallèle entre le gouvernement de juillet et la restauration, qui faisait déjà les frais de la politique du Constitutionnel, huit ans avant que M. Thiers ne revînt y prendre la plume. Un esprit juste et étendu ne doit pas tomber dans cette faiblesse commune, qui fait qu’on se reporte toujours à ses souvenirs les plus brillans.

Il y a dans les amis actuels de M. Thiers, amis anciens et repris depuis peu, de vieux conventionnels qui lui avaient inspiré l’admiration de 1793, qu’il a exprimée dans son Histoire de la Révolution. Ceux-là se croient toujours à la veille de lutter avec l’Europe, conjurée par Pitt et Cobourg, et de lancer leurs quatorze armées contre elle. Il y a encore près de M. Thiers des hommes d’état du directoire qui ne voient que corruption, et qui se figurent toujours que l’état va périr sous les dilapidations des fournisseurs. Il y avait même dans l’opposition de la restauration de jeunes libéraux de 1825, qui en sont déjà aux redites, et qui voient partout l’époque mémorable de leur vie, les journées de la résistance de juillet, cherchant à chaque fait une ressemblance aux faits passés, comme fit long-temps M. Guizot quand il comparait 1688 et 1830, la révolution d’Angleterre et la révolution de France. Voilà ce que M. Thiers doit craindre d’imiter, car sa pensée, longtemps indépendante, cesserait de l’être, s’il obéissait à de telles impressions.

M. Thiers demande s’il doit renoncer à ses opinions parce que des hommes d’une opposition plus ancienne votent avec lui. Ce n’est pas parce qu’il vote avec eux, mais parce qu’il vote comme eux, que M. Thiers a tort. Ce n’est pas son indépendance du gouvernement que nous blâmons, mais sa dépendance de vingt partis différens qui sont loin de lui accorder leur estime. Nous n’en voulons pour preuve que le National d’aujourd’hui, qui n’a été frappé dans la lettre de M. Thiers, qu’il publie, que d’un grand luxe d’habileté, et qui s’étonne du jugement sévère qu’il porte contre un pouvoir qu’il a servi avec un zèle aveugle. La leçon est rude, mais elle est méritée.

Quant à persévérer dans sa ligne de conduite actuelle, comme l’annonce M. Thiers, nous croyons qu’il se ravisera. M. Thiers n’est pas un de ces esprits inflexibles qui refusent le conseil des évènemens. Il a déjà varié depuis la révolution de juillet, et il se trouve dans des rangs où ont été étonnés de le recevoir ceux qui y figurent et qui ne changent pas. Ceux-là se nomment Odilon Barrot, Garnier-Pagès, Cormenin, Salverte, et M. Thiers est destiné à ne pas rester long-temps parmi eux. Il lui sera bien pénible alors de se rappeler qu’il a proscrit en quelque sorte ses meilleurs amis et ses anciens soutiens, et qu’il s’est efforcé de les écarter des élections par une circulaire signée de son nom. Que diront-ils quand M. Thiers viendra, plus tard, leur demander secours contre ceux qu’il soutient aujourd’hui ? Et ce moment ne