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tastique. Personne ne trouve grace devant le sectaire furibond. L’administration de l’Opéra, Duprez, la critique, le public, il pulvérise tout au nom de je ne sais quelle scholastique de dupes dont il fait parade. Peu s’en faut qu’il ne maltraite fort les cieux pour n’avoir point lancé la foudre sur cette salle où l’on sifflait son idole. Vraiment on aurait grand tort de s’appesantir sur de semblables boutades ; le public en fait justice en ne les lisant pas ; aussi nous nous abstenons d’en dire davantage, et renvoyons le lecteur au livre si charmant de Mme Merlin, à ces vives sensations de la musique italienne qu’on aime à retrouver jusque dans l’écho des souvenirs.

Il paraît en ce moment une édition nouvelle des œuvres de Schubert. Grace à M. Émile Deschamps, le chantre mélodieux du Roi des Aulnes, de la Marguerite au rouet, de la Belle Meunière, va dépouiller enfin les ridicules oripeaux dont les poètes lyriques l’avaient affublé. Il est impossible, en effet, de rien imaginer de plus surprenant que les inventions auxquelles la musique de Schubert avait donné lieu. Jamais la poésie à l’usage des marchands de musique n’avait été si loin. Et certes, on peut dire au moins que c’était bien s’y prendre : traduire Schubert en pareilles rimes ! Schubert qui n’a jamais composé sa musique que sur des inspirations de Gœthe, de Schiller, de Schlegel, de Rückert, de Wilhelm Müller, ce qui, soit dit en passant, répond suffisamment à ceux qui prétendent que la belle poésie ne saurait s’allier à la belle musique. Le poète primitif s’était contenté de mettre des paroles sous la musique, sans avoir égard le moins du monde au texte allemand, au sentiment dont Schubert avait pu s’inspirer. Il taillait à sa fantaisie, émondait les arbres à son gré dans cette forêt de mélodies. Ainsi, il sépare l’un de l’autre les fragmens indivisibles qui forment le cycle de la Belle Meunière, den Cyclus der Schonen Müllerinn, et leur donne à chacun un nom qu’il invente.

Il appartenait au traducteur ingénieux de Romeo et de Macbeth, de la Cloche et de la Fiancée de Corinthe, de venger l’œuvre de Schubert de profanations semblables. Nous ne prétendons pas dire ici que nous approuvions tout ce qui sortira de la plume de M. Émile Deschamps. M. Deschamps sait aussi bien que nous que rien n’est plus capricieux qu’une traduction, et surtout qu’une traduction de quinze vers qui font un poème, comme cela se rencontre dans le Roi des Aulnes de Gœthe ; cela vient la plupart du temps d’un seul jet, bien ou mal, à l’étoile du moment, zu dem Stern der Stunde, comme dit Wagner. Mais ce qu’on peut sans crainte affirmer d’avance, c’est que le travail de M. Émile Deschamps ne cessera jamais d’être digne de Schubert. La première livraison contient la Marguerite au rouet, le Roi des Aulnes, la Rose, l’Ave Maria, la Poste, la Sérénade. Pour ce qui est de la traduction, s’il nous fallait choisir entre les six morceaux, nous n’hésiterions pas à nous décider pour la Religieuse, la Poste et l’Ave Maria ; le Roi des Aulnes nous semble manquer de rêverie et de grandeur ; on y cherche en vain cette précision dans le vague que Gœthe a seul entre tous les grands poètes allemands. Quant à la Marguerite au rouet, il faudra toujours se contenter