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nécessité sociale sous l’empire du polythéisme, la première organisation régulière et permanente du travail ? Son développement est-il lié d’une manière intime et directe au développement de la propriété, de la puissance commerciale, de la force militaire ? L’esclavage est-il né de la famille ou du camp, du peuple pasteur ou du peuple guerrier ? Comment tant de siècles ont-ils passé sans le combler sur cet abîme d’inégalité profonde qui séparait en deux espèces les hommes du monde antique ? Ces questions, souvent posées, ont été diversement résolues. Juste Lipse, Laurentius, Vadianus, Jugler, Blair, et dans une autre série d’études, Bodin et Montesquieu, ont abordé cet important sujet, les uns au point de vue de la simple recherche, les autres au point de vue de la critique philosophique. Bodin déclare l’esclavage contraire aux élémens les plus simples du droit naturel. Montesquieu le condamne également de toute l’autorité de sa puissante raison. Mais de nos jours l’esclavage antique a trouvé des défenseurs. De prétendus historiens ont opposé leur érudition factice à la science profonde de l’Esprit des lois. La philosophie et la logique du feuilleton ont cassé l’arrêt de Montesquieu ; et bien que la véritable science n’ait point souffert de ces attaques sans portée, bien que cette même critique, qui promettait une révolution, n’ait produit tout au plus qu’une insignifiante émeute, son influence a laissé néanmoins quelques traces dans des écrits sérieux. Le recommandable travail de M. de Saint-Paul a gardé, dans la pensée et dans la forme, quelque chose de ce dogmatisme, aussi faux qu’il est affirmatif.

L’auteur se déclare, en quelque sorte, l’apologiste de l’esclavage. Quant à nous, nous récusons cette doctrine d’une manière formelle et absolue. L’homme a des droits sacrés qui sont de tous les temps et de tous les lieux. Il y a, dans ce monde, une loi supérieure à toutes les nécessités politiques ; et si la société païenne a méconnu cette loi, pourquoi l’excuser ? L’esclavage doit être jugé, avant tout, en droit et en morale ; et de ce point de vue, qu’est-ce que l’esclavage ? C’est l’abus sans frein de la force, c’est le mépris de l’être dans sa plus effroyable expression, l’égoïsme dans sa plus triste rigueur ; c’est dans le maître la barbarie, dans l’esclave la dégradation ; c’est la femme changée en instrument de plaisir, c’est une cause incessante de guerres impitoyables, d’immenses massacres ; tout cela ressort, à chaque page, à chaque ligne du livre de M. de Saint-Paul, et l’érudition de l’auteur est une perpétuelle négation de ses doctrines. Il convient, du reste, de rendre justice à l’exactitude, à l’étendue de ses recherches. Écrivains originaux de l’antiquité, commentateurs érudits, historiens ou jurisconsultes, il a tout étudié, et à l’aide de cette variété de textes, patiemment colligés, il a reconstruit un tableau fidèle et sévère. L’impression que laisse ce livre est grave et triste. Les plus hautes intelligences de l’antiquité elles-mêmes, Aristote et Platon, déclarent l’esclavage légitime, et cherchent à l’absoudre. Le Stagyrite cite en l’approuvant ce proverbe grec : point de repos aux esclaves ; il croit trouver dans la race servile, le sceau d’une dégradation native et primordiale ; il veut que l’esclave obéisse au maître, comme l’animal à l’homme, comme la matière à