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REVUE LITTÉRAIRE.

preinte ? Ses œuvres n’en seront-elles pas inévitablement tachetées et bigarrées, comme cette fameuse toison des brebis de Jacob ? M. le prince Mestscherski s’est posé la question, je le crois bien ; mais il a passé outre, et il n’avait pas le choix. Amoureux de notre littérature et voulant y prendre pied au nom de la sienne, il a pensé qu’à sa poésie un peu de moucheture et de bigarrure ne messiérait pas, et que quelques grains d’Émile Deschamps ou d’Alfred de Musset, à la surface, ne seraient qu’un piquant de plus comme pour de certaines beautés. Son volume se divise en deux parts : la première, sous le titre de Livre d’Amour, est censée un legs d’un jeune poète mort à Moscou ; mais ce linceul n’est qu’un domino rose pour oser dire tout haut ses tendresses. La seconde moitié du volume nous offre des traductions en vers, comme échantillons de la Pleïade russe ; vingt-cinq morceaux tirés de douze poètes contemporains. Tous sont vivans, excepté Pouschkinn, le seul dont le nom, en même temps que le malheur, nous soit parvenu. Ces Études russes, que le prince Mestscherski nous donne comme un supplément modeste des Études si vives et si gracieuses d’Émile Deschamps, s’adressent aux poètes français et méritent bien leur reconnaissance. Que le poétique traducteur étende le cercle des auteurs et des morceaux qu’il juge bons à produire, qu’il resserre à la fois de plus en plus sa correction élégante et, s’il se peut, sa littérale exactitude ; nous lui devrons accès en une littérature jusqu’ici close et qui, probablement, ne nous ouvrirait pas cette porte sans lui. Parmi les pièces qu’il traduit et qui sont peut-être trop exclusivement lyriques, je distingue le Novembre de Pouschkinn, espèce d’élégie d’intérieur, et le piquant adieu du même à une jeune Kalmouque entrevue au passage, et qu’il est tenté de suivre dans la kibitka, espèce de chariot couvert où elle se rembarque pour le steppe immense. Elle n’est ni jolie, ni séduisante, comme on l’entend, et n’a aucune des graces apprises :

Qu’importe ! ta grace sauvage
Eût fait éclater dix cerveaux ;
Et moi, j’y fus pris au passage
Pendant un relais de chevaux.
Qu’importe où notre cœur se loge !
Dès qu’il s’émeut tout coin lui sert,
Salon doré, soyeuse loge,
Ou la kibitka du désert !

Mais les pièces qui m’ont semblé caractériser avec le plus d’originalité le genre lyrique, âpre et grandiose, de cette nature sibérienne, sont celles du poète Bénédictof. J’en citerai une fort belle, traduite avec un grand bonheur par M. le prince Mestscherski.

L’ÉTOILE POLAIRE.

Il est minuit. Le ciel rayonne en myriades
D’étoiles au feu transparent ;