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CRITIQUE HISTORIQUE.

sérieux-rieur. Du reste, cette manière ne lui était point particulière ; elle était commune à tous les cyniques, et on la désignait habituellement, comme nous l’apprend Démétrius de Phalère, par κυνικός τρόπος, manière cynique.

M. Granier de Cassagnac avait ainsi passablement compromis son érudition ; mais en voulant commenter ce malheureux mot de cyniques, il l’a, nous le craignons fort, décréditée à tout jamais. « Ces cyniques, ajoute-t-il, paraissent avoir été des satires dans le genre du Cyclope d’Euripide. » On ne sait en vérité ce qu’on doit le plus admirer, de l’intrépidité de l’affirmation ou de l’énormité de l’erreur ; car, enfin, M. Granier de Cassagnac sait bien qu’il n’a jamais lu le Cyclope d’Euripide. Il sait aussi qu’il n’a jamais appris dans un manuel de littérature ce qu’était ce poème ; comment donc se permet-il de comparer des cyniques qu’il imagine avec des satires qu’il n’a jamais connues ? Étonnez-vous après cela que nos voisins d’outre-Rhin se moquent un peu de la légèreté et de l’étourderie gauloise ! Franchement, quelle idée prendrions-nous du Germain qui, s’avisant de parler des satires de notre Regnier, écrirait, par exemple, que ces poèmes paraissent être dans le genre des Guêpes d’Aristophane ou des Plaideurs de Racine ! Eh bien ! le rapprochement établi par M. de Cassagnac est de cette force. Il n’est personne, en effet, un peu versé dans l’histoire littéraire de la Grèce qui ne sache que le drame satyrique dont le Cyclope nous offre un modèle, était un drame régulier, servant à compléter la tétralogie que chaque poète, dans le principe, fut obligé de présenter au concours pour disputer le prix de la tragédie, et qu’on l’appela satyrique, parce que les Satyres qui étaient destinés à l’égayer, devaient toujours en composer le chœur.

Cependant, il y a une cause à tout, et puisque M. de Cassagnac a comparé les Cyniques de Ménippe avec le Cyclope plutôt qu’avec l’Iphigénie d’Euripide, il avait une raison. Cette raison est facile à deviner ; M. de Cassagnac aura su par un moyen quelconque que le Cyclope est appelé aussi drame satyrique, et tout entier à ce dernier mot, il aura fait d’un drame une satire. C’est sans doute par une méprise à peu près semblable qu’il a changé les Saturnales de Macrobe en « un ouvrage de grammaire, » parce que sur sept livres que les Saturnales renferment, il s’y trouve quelques chapitres consacrés à des questions grammaticales. Mais j’avoue que j’ai vainement cherché la raison qui a pu lui faire appeler aussi « un ouvrage de grammaire, les Florides d’Apulée. » Les Florides, qui sont un recueil de récits historiques et mythologiques, appelées un livre de grammaire ! J’aimerais autant lui voir prendre le De viris illustribus pour la Méthode de Lhomond.

M. Granier de Cassagnac disait, il y a quelque temps, en jugeant une traduction de la Politique d’Aristote. « Il est bon que la grave Université règle quelquefois ses comptes avec la science en gants jaunes, comme elle nous appelle nous autres journalistes frivoles et légers. » Nous ne savons si la grave Université s’est beaucoup émue de cette menace ; mais nous doutons fort que la science en gants jaunes, si jamais elle a choisi M. de Cassagnac