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tionné qu’un autre, Timon qu’il appelle Phliasius, au lieu de dire de Phlionte, de même que plus haut, il avait appelé Cratès Mallotes, au lieu de dire de Malles. M. Granier n’aurait-il pas compris, par hasard, qu’il est ici tout simplement question de l’endroit qui vit naître ces philosophes ? Quoi qu’il en soit, M. de Cassagnac, qui, en parlant des esclaves lettrés, a renfermé l’antiquité dans l’histoire romaine, s’occupe ici des Grecs. Mais qu’on ne s’imagine pas qu’il ait pris beaucoup de peine pour faire les frais de cette érudition exotique. Il fallait dire un mot des philosophes qui avaient passé par l’esclavage ; pour cela, on a ouvert Macrobe ou Aulu-Gelle, car en cet endroit ils se répètent, et l’on a copié la phrase suivante : « Phaedon ex cohorte Socratica… servus fuit… Alii quoque non pauci servi fuerunt, qui post philosophi clari extiterunt. Ex quibus ille Menippus fuit, cujus libros M. Varro in satiris æmulatus est ; quas alii Cynicas, ipse appellat Menippeas[1]. Nous aimons à croire que M. Granier sait le latin ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il prête encore à cette phrase un sens qu’elle n’a jamais eu aux yeux d’un latiniste. Traduite, en effet, littéralement, elle signifie : « Phédon, de l’école de Socrate, fut esclave… Il y eut aussi un assez grand nombre d’esclaves qui devinrent ensuite d’illustres philosophes. Parmi eux il faut compter ce Ménippe, dont M. Varron se proposa les ouvrages pour modèle dans ses satires que quelques-uns appellent cyniques et que lui-même appelle ménippées. » Or, notons maintenant les différences. D’abord, il n’est point parlé d’esclaves philosophes, mais de philosophes ayant passé par l’esclavage qui post… extiterunt ; par conséquent affranchis. En second lieu, il n’est point dit que Ménippe eût composé des cyniques, et pour une bonne raison, c’est que Ménippe ne composa jamais de satires, encore moins d’ouvrages appelés du nom de cyniques, si tant est même qu’il ait écrit des livres d’aucune façon ; car, au rapport de Diogène de Laerte, « il y en a qui pensent que les ouvrages attribués à Ménippe ne sont pas de lui, mais de Denys et de Zopyre, qui, les ayant écrits pour s’amuser, les mirent sur le compte du philosophe, afin de leur assurer plus de succès. » Voici, sans doute, ce qui aura induit en erreur M. de Cassagnac : lisant dans la phrase latine que M. Varron, qui s’était proposé Ménippe pour modèle, avait fait des satires appelées cyniques par quelques-uns de ses lecteurs, il en aura conclu que Ménippe avait fait des cyniques. Mais un érudit ne commet pas de semblables méprises, parce qu’il a toujours soin de s’assurer de ce qu’ont dit ou fait les gens, avant de parler d’eux. Non, Ménippe ne composa point de cyniques ; et s’il plut à quelques personnes d’appeler ainsi les satires de Varron, ce n’est pas du tout qu’elles eussent la forme des écrits du philosophe : c’est parce qu’elles en reproduisaient l’esprit et le ton. « Ménippe est un chien terrible qui vous mord en riant, » disait Lucien. Tel était le caractère équivoque des écrits qu’on lui attribuait, ce qui le fit surnommer στουδογέλοιος

  1. Saturn., I, 11. — Cf. A. Gell., II, 18.