Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/510

Cette page a été validée par deux contributeurs.
506
REVUE DES DEUX MONDES.

pas peu M. de Cassagnac, jusqu’à s’y faire compter parmi les avocats les plus distingués. « J’ai ouï dire aussi, raconte Suétone, que quelques grammairiens avaient immédiatement passé de leur école au forum, et qu’on les y avait rangés au nombre des meilleurs avocats. « Audiebam etiam quosdam e grammaticis statim e ludo transisse in forum, atque in numerum præstantissimorum patronorum receptos[1]. » Statim, immédiatement mérite d’être noté : ils n’avaient fait qu’un saut de l’école au forum, de l’humble chaire du grammairien à la tribune aux harangues. Or, cette brusque élévation n’était pas ordinaire ; habituellement, il y avait un degré intermédiaire à franchir, la rhétorique. Par la nature de ses études, en effet, le grammairien pur se trouvait trop éloigné du barreau ; la rhétorique, au contraire, était une préparation aux discussions du forum, et une préparation tellement immédiate que, pour transformer en véritables plaidoyers les thèses, ou questions générales, que le rhéteur traitait devant ses élèves et leur faisait développer à eux-mêmes, bien souvent il eût suffi de mettre un nom propre à la place d’un nom imaginaire. Voilà pourquoi Suétone a dit statim, s’il se fût agi de grammairiens devenus rhéteurs, assurément il n’eût point fait la remarque ; car rien n’était plus aisé pour les grammairiens rhéteurs que l’accès du forum ; et c’est encore Suétone qui nous le prouve par un exemple fort curieux. « Un jour, dit-il, que Marcus Pomponius Marcellus, le plus intraitable puriste qu’ait eu la langue latine, prêtait son assistance dans un débat judiciaire (car il lui arrivait aussi quelquefois de plaider), il s’attacha avec tant d’acharnement à relever un solécisme commis par l’adversaire, que Cassius Severus fut obligé de demander aux juges remise de la cause, afin que son antagoniste eût le temps de choisir un autre grammairien, vu que celui qu’il avait actuellement semblait croire que la discussion, engagée avec l’adversaire, devait rouler, non sur un point de droit, mais sur un solécisme[2]. »

Les deux assertions de M. Granier de Cassagnac sont donc également fausses. Nous avons cherché la cause de sa première erreur ; nous croyons avoir trouvé celle de la seconde. Suétone, comme chacun sait, nous a laissé quelques notices biographiques sur des grammairiens et des rhéteurs dont l’enseignement avait jeté de l’éclat. Son travail est divisé en deux parties ; l’une contient les grammairiens au nombre de vingt, et l’autre les rhéteurs, au nombre de cinq. Or, dans cette dernière catégorie, il ne figure, en général, que des individus qui ne paraissent point avoir subi l’esclavage. Mais d’où vient cette coïncidence ? Du hasard seul. Suétone ne s’est nullement occupé de distinguer les gens de rien des gens de bonne maison, comme parle M. de Cassagnac ; il a tout simplement voulu mettre de la méthode dans son travail, et pour cela, il a rangé, d’un côté, les grammairiens purs avec les grammairiens rhéteurs, et de l’autre, les rhéteurs purs. Ce qui le prouve, c’est que Lucius Octacilius Pilitus dont nous avons déjà parlé, est compris au

  1. De Illustr. gramm., IV, 8.
  2. Ibid., XXII.