Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/509

Cette page a été validée par deux contributeurs.
505
CRITIQUE HISTORIQUE.

de discuter ; que certains jours, au contraire, il traitait le matin toutes sortes de questions et consacrait l’après-midi aux exercices oratoires. » Enfin, du temps de Quintilien, les deux rôles furent tout-à-fait renversés. L’habile rhétheur se plaignant de ce qu’on applique trop tard les enfans à l’étude de l’éloquence, trouve la cause d’un tel abus, d’une part dans la négligence des rhéteurs, d’une autre part dans l’usurpation progressive des grammairiens.

« Car, ajoute-t-il, les premiers font consister tout leur devoir à enseigner l’art de composer des discours, et cela même en se renfermant dans le genre délibératif et le genre judiciaire, tandis que les seconds, non contens de recevoir tout ce qu’on leur avait abandonné, ont poussé leur envahissement jusqu’à se permettre des prosopopées et des discours du genre délibératif, osant ainsi se charger de la tâche la plus difficile de l’éloquence… Que la grammaire apprenne donc à respecter ses limites, et que la rhétorique, à son tour, n’élude aucune de ses charges… Je ne prétends pas nier que parmi ceux qui s’annoncent comme grammairiens, il ne puisse s’en trouver qui soient aussi capables d’enseigner ce que je viens de dire, mais alors ils feront la fonction de rhéteur, et non celle de grammairien. »

À ces témoignages déjà si positifs, si irrécusables et qui, au besoin, nous suffiraient sans doute, ajoutons des exemples : c’est Suétone encore qui nous les fournira, et nous les choisirons parmi ces grammairiens qu’on a traités d’esclaves. L’affranchi Aurelius Opilius enseigna d’abord la philosophie, puis la rhétorique et, en troisième lieu, la grammaire. Le grammairien Marcus Antonius Gniphon, né dans la Gaule, enseigna aussi la rhétorique. Son école fut fréquentée par les hommes les plus distingués, et Cicéron, qui avait déjà remporté les plus belles palmes de l’éloquence, Cicéron, parvenu alors à l’âge de trente-neuf ans et revêtu des honneurs de la préture, ne dédaigna pas d’assister à ses leçons. L’affranchi Atteius enseigna tour à tour la grammaire et l’éloquence et fit dire de lui, par le jurisconsulte Capiton Atteius, qu’il était un rhéteur parmi les grammairiens et un grammairien parmi les rhéteurs ; mot ingénieux qui peignait du même trait la confusion des deux arts et l’atteinte que chacun d’eux recevait de cet amalgame. N’oublions pas ce Lucius Octacilius Pilitus dont le beau génie sut triompher des circonstances les plus défavorables. Esclave d’abord et esclave du dernier degré, puisqu’il était portier, c’est-à-dire enchaîné dans une loge à côté d’un dogue enchaîné comme lui, il obtint la liberté en considération de son heureux naturel et de ses goûts studieux. Puis, il enseigna la rhétorique et eut pour disciple le grand Pompée.

Il est donc bien constaté que les affranchis grammairiens devenaient rhéteurs, et qu’ils pouvaient alors, au moins indirectement, toucher à la politique par les harangues sénatoriales ou tribunitiennes, et à la jurisprudence par les plaidoiries du prétoire. Mais il y avait mieux, et M. de Cassagnac le croirait sans doute difficilement, si nous n’avions à produire des pièces de conviction qu’il ne récusera pas ; ces hardis grammairiens s’émancipaient de temps en temps jusqu’à s’élancer de leur école au forum, et, ce qui n’étonnera