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peut-être que par esclaves il a voulu désigner ceux qui sortaient immédiatement de la servitude aussi bien que ceux qui y étaient encore. Mais nous lui demanderons alors pourquoi il a lui-même, dans le cours de sa dissertation, distingué plusieurs fois les esclaves des affranchis ; nous lui demanderons également s’il croit qu’il soit loisible à l’écrivain de changer à son gré la signification des mots. Évidemment, il y a ici méprise, confusion et par conséquent absence de critique.

Toutefois, ne nous laissons point arrêter par cette étrange synonymie, et cherchons, s’il y avait, soit une littérature des esclaves, soit une littérature des affranchis.

« À peu près, nous dit M. Granier de Cassagnac, tous les grammairiens étaient esclaves ; très peu d’esclaves, au contraire, devenaient rhéteurs. » Rien de plus faux que ces deux assertions ; nous le démontrerons en nous appuyant sur les autorités mêmes qu’a consultées M. Granier de Cassagnac.

Tant que Rome ne se mit pas en contact avec la Grèce, elle resta barbare et inculte. Habile dans un seul art, celui de la guerre, elle n’avait qu’une ambition, celle de vaincre et d’opprimer. Mais à peine ses armes eurent-elles pénétré dans l’Italie méridionale, et de là dans le reste de la Grèce, qu’elle ressentit l’influence de cette terre privilégiée. Vainement voulut-elle d’abord la repousser comme un joug, et par cet instinct de sauvage rudesse qui plus tard faisait dire à Marius, qu’il dédaignait des arts qui ne savaient pas préserver de l’esclavage ; la résistance fut inutile. Le génie de la Grèce, plus puissant que ses armes, amollit peu à peu la dure écorce des vieilles mœurs romaines et transforma ses farouches vainqueurs en disciples soumis. Une des premières études à laquelle il les appliqua, fut celle de la grammaire. Arrêtons-nous un moment sur ce mot pour préciser le sens qu’y attachaient les anciens. Chez eux, l’enseignement de la grammaire comprenait proprement trois degrés : le premier s’occupait des principes élémentaires du langage, le second, de la lecture des auteurs accompagnée d’explications grammaticales plus approfondies et de développemens historiques, le troisième, de tout ce qui concernait la poésie et sa forme artificielle. Mais comme de ces trois degrés les deux premiers ordinairement n’étaient pas séparés, et que le troisième embrassait souvent aussi une partie du second, on n’employa que deux noms pour les désigner, literatio, ou en grec grammatistice, et literatura, ou en grec grammatice. Il arriva même que ce dernier nom, ayant passé dans la langue latine, finit par remplacer literatio et literatura. Le nom des maîtres chargés de ces divers degrés d’instruction subit un sort pareil. On appela d’abord literatores, ou en grec grammatistœ ceux qui donnaient l’enseignement élémentaire, et literati, ou en grec grammatici, ceux qui donnaient l’enseignement plus relevé ; mais par la suite, les uns et les autres s’appelèrent grammatici, grammairiens.

Maintenant, quel est le sens que M. Granier de Cassagnac peut avoir attaché à ce terme, quand il a avancé que tous les grammairiens à peu près étaient esclaves, c’est-à-dire affranchis ? De prime abord, il est vrai, sa pro-