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CRITIQUE HISTORIQUE.

question en disant qu’il connaissait bien le droit, mais qu’il n’était pas grammairien. Mais, reprit Aulu-Gelle, le mot qu’on vous demande est aussi un terme de droit ; et là-dessus, il lui cita un article de la loi des douze tables, où le mot proletarius se trouvait en effet. Ne sachant trop que répondre à un argument si pressant, le jurisconsulte se sauva par une plaisanterie, et répliqua qu’il n’avait point appris le droit qu’on suivait au temps des Faunus et des Aborigènes ; faisant allusion à quelques termes de la loi des douze tables qui étaient tombés en désuétude dans le barreau, et parmi lesquels il comprenait proletarii, assidui, sanates, vades, subvades, etc. Or, M. Granier de Cassagnac s’emparant de vades et de subvades, qui, pour tout homme qui sait un peu de latin, ou qui a seulement un bon dictionnaire à sa disposition, signifient, le premier, caution ou répondant, et le second, caution de la caution ou répondant du répondant, a fait vassal du premier et arrière vassal du second, se laissant abuser par un faux rapport d’homonymie, et ne voyant pas que deux mots de signification aussi diverse que vas, en latin, et vassal, en français, ne peuvent point avoir une même racine. Ce n’est pas tout : M. Granier de Cassagnac, prenant au sérieux la plaisanterie du jurisconsulte, a cru que vas et subvas étaient des termes en usage au temps des Faunus et des Aborigènes, et il en a conclu qu’au temps des Faunus et des Aborigènes, la féodalité régnait en plein sur toute l’Italie. Mais comment M. de Cassagnac n’a-t-il pas senti que l’exagération du jurisconsulte ne pouvait au moins dépasser l’an 304, époque de la promulgation de la loi des douze tables ? Comment surtout M. de Cassagnac ignore-t-il que cette locution, du temps des Faunus et des Aborigènes, était une locution proverbiale dont se servaient les Latins pour désigner une chose très ancienne ou une chose dont ils voulaient exagérer la vétusté, de même que nous disons dans les deux cas, du temps d’Hérode ou vieux comme Hérode ? Les auteurs nous en offrent des exemples, et sans sortir d’Aulu-Gelle, nous pouvons citer un passage où le proverbe est appliqué dans une circonstance tout-à-fait semblable à celle dont il s’agit ici. Quelqu’un ayant opposé l’autorité de Varron à un puriste, « gardez, répondit le puriste, gardez pour vous ces autorités qui remontent au siècle des Faunus et des Aborigènes. » Et, à propos de ce proverbe, n’oublions pas de signaler encore une autre distraction de M. Granier de Cassagnac. Au lieu de traduire le droit des Faunus et des Aborigènes, il a écrit partout le droit ou la législation des Aborigènes et des Faunes[1], s’imaginant apparemment que Faunorum n’était pas le pluriel du nom propre de Faunus, fils de Picus, et roi des Aborigènes, mais du nom commun de ces divinités champêtres qu’on appelait Fauni, ce qui pourrait être, à la rigueur, si quelque ancien nous eût appris que les dieux chèvre-pieds avaient un droit et des législateurs.

Est-on maintenant désireux de voir comment s’y prend M. Granier pour prouver que la nomenclature nobiliaire du moyen-âge appartient au céré-

  1. Chap. VI, pag. 248.