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affranchis ? Comment vivait aussi le petit peuple ? Les affranchis de la campagne avaient le même sort que ceux de la ville ; ils restaient aux champs ou allaient chercher fortune à Rome, s’adonnaient à l’agriculture ou prenaient une profession à leur choix. Quant au petit peuple, il vivait le plus souvent du produit d’un coin de terre ou des bestiaux qu’il élevait. D’ailleurs, comme sa vie était sobre, ses besoins n’étaient pas nombreux. Veut-on voir le type et en même temps le modèle d’un de ces campagnards ? L’an de Rome 582, le consul P. Licinius levait une armée pour aller en Macédoine ; des centurions auxquels on proposait de s’enrôler de nouveau, y consentirent, mais ils exigeaient qu’on leur rendît leur ancien grade. Refus du consul, obstination des centurions ; l’affaire fut portée devant les tribuns du peuple. Le jour où elle devait se décider, un des centurions demanda la parole et dit : « Romains, je m’appelle Spurius Ligustinus, de la tribu Crustumine, dans le pays des Sabins. Mon père m’a laissé un arpent de terre et une petite chaumière où je suis né, où j’ai été élevé et que j’habite encore aujourd’hui. Aussitôt que je fus en âge, mon père me fit épouser la fille de son frère. Elle ne m’apporta d’autre dot que la liberté, la chasteté et une fécondité qui suffirait même à une opulente maison. Nous avons six fils et deux filles. Les deux filles sont déjà mariées. Quatre de nos garçons ont la robe virile, les deux autres portent encore la prétexte. J’ai été enrôlé pour la première fois sous le consulat de C. Aurélius et de P. Sulpicius… » Puis, après avoir énuméré ses nombreuses campagnes, le centurion continua ainsi : « J’ai commandé quatre fois en peu d’années la première centurie ; mon courage m’a valu des récompenses de la part de mes généraux en trente-quatre occasions différentes ; j’ai reçu six couronnes civiques ; je compte vingt-deux campagnes, et j’ai passé cinquante ans. Quand j’aurais moins d’années de service ; quand mon âge ne m’exempterait pas de l’enrôlement militaire, cependant, comme je puis offrir quatre fils à ma place, il y aurait encore justice à me libérer. Mais ne regardez ce que je dis là que comme des raisons qu’on pourrait faire valoir pour ma cause. Quant à moi, tant que le général qui lève une armée me trouvera propre à être soldat, je n’alléguerai jamais un motif de dispense. C’est aux tribuns à fixer le grade dont ils me jugeront digne[1]. »

Mais la jeune critique dont M. Granier de Cassagnac s’est fait l’organe ne s’en tient pas là, et nous oppose un autre ordre d’argumens pour prouver qu’il y eut dans la vieille Italie une féodalité complète. Ces argumens sont tirés de l’étymologie. Est-on curieux de savoir, par exemple, comment M. Granier, à l’aide de cette science, trouve les vassaux ? Le voici : Aulu-Gelle nous raconte qu’un jour qu’il assistait avec plusieurs autres personnes à la lecture d’un livre des Annales d’Ennius, quelqu’un demanda l’origine du mot proletarius, qui venait de se faire entendre dans un vers. Comme personne ne se sentait capable de l’expliquer, Aulu-Gelle s’adressa à un des assistans qu’il savait fort habile dans le droit civil. Celui-ci, embarrassé, éluda la

  1. Tite-Live, LXII, 34.