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doivent à une pareille origine, il faudrait bénir l’ambition qui échauffa le cœur de tous ces généreux roturiers. Craint-on que ces désertions ne laissent à la longue les ateliers vides et l’industrie sans bras ? Crainte chimérique ! Au-dessous de celui qui s’élève, d’autres aspirent à la hauteur qu’il abandonne, et les rangs les moins élevés sont encore une élévation. En vain exhaussera-t-on le niveau ; l’échelle aussi s’exhaussera, et il y aura toujours à cette échelle un premier degré. Ainsi pourra s’effectuer, sans trouble et sans danger, sans gêner aucun essor, sans méconnaître aucun droit, ce progrès continu et cette marche ascendante de la société vers un état meilleur.

Nous avons démontré que l’érudition, même en prenant ce mot dans l’acception beaucoup trop étendue que lui a donnée M. Granier de Cassagnac, ne suffit point pour écrire l’histoire, et qu’elle laisse même en dehors la partie la plus intéressante de la tâche de l’historien ; d’où il est résulté que le livre des Classes ouvrières et des Classes bourgeoises ne justifie nullement la prétention qu’il a de commencer une ère historique nouvelle. Nous avons démontré que M. de Cassagnac s’était mépris sur la nature des besoins des classes ouvrières, et que, dans tous les cas, le remède qu’il avait imaginé, loin de soulager le mal, ne pourrait que l’aigrir ; d’où il est résulté que le but moral que son livre se proposait, avait été complètement manqué. Nous allons maintenant essayer d’apprécier la valeur intrinsèque et absolue de cet ouvrage.


I. — ORIGINE DE L’ESCLAVAGE.

« En prenant l’histoire à ses sources, nous dit M. Granier de Cassagnac, nous avons trouvé les traces nombreuses, profondes, flagrantes, irrécusables de deux classes d’hommes qui ont rempli en tout pays les premières époques de toute société. L’une de ces classes d’hommes est celle des maîtres, l’autre est celle des esclaves[1]. »

Comme cette découverte n’a rien de bien curieux, et que d’ailleurs beaucoup de gens l’avaient faite avant lui, M. Granier a eu le bon esprit de ne pas s’y appesantir. « Nous n’insistons pas, ajoute-t-il, sur ce grand fait historique dont les preuves sont partout… Nous allons seulement examiner ses caractères. D’abord il est clair, par tous les témoignages qui s’y rapportent, que ce fait est très ancien, si ancien qu’on n’en trouve le commencement nulle part… Ensuite il ne paraît point, par l’étude de toutes les traditions, que l’esclavage ait jamais été institué, fondé, créé… Nous pouvons même annoncer que nous tenons en réserve des considérations irrésistibles, mathématiques, qui établiront que non-seulement l’esclavage n’est pas dans le Lévitique, dans l’Iliade, une chose actuellement ou même nouvellement fondée ; mais qu’il y est une chose vieille, une chose décrépite…, de telle sorte que, loin de devoir sa naissance aux institutions humaines, l’esclavage

  1. Chap. III, pag. 36.