Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/481

Cette page a été validée par deux contributeurs.
477
CRITIQUE HISTORIQUE.

nous discuterons. Notre appréciation sera sérieuse comme a droit de l’attendre un livre qui a coûté « sept ans de travail continuel[1] ; » et nous promettons d’avance à l’auteur cette sévère impartialité, qu’il appelle lui-même sur son œuvre. « Toutefois, dit en effet M. Granier de Cassagnac, j’accepte avec confiance les risques d’un jugement public, parce que la vérité se défend toujours. » Telle est aussi notre conviction : la vérité se défend toujours, et c’est dans le seul espoir de la faire triompher que nous prenons la plume. Nous ne cédons à aucune considération personnelle ; nous n’ambitionnons pas même l’honneur de convertir M. Granier de Cassagnac, quoiqu’il nous dise de la meilleure grace du monde : « Que si, par aventure, je m’étais trompé d’un bout à l’autre de mes convictions, eh bien ! j’en serais quitte pour me corriger et pour m’en faire de meilleures. » Non qu’une pareille conversion ne fût assurément très flatteuse pour nous ; mais, indépendamment de la crainte que nous aurions de faire entrer un calcul d’amour-propre dans la défense de la vérité, nous croyons, à parler avec franchise, que le bon propos de M. de Cassagnac n’est qu’une illusion de sa modestie. À son âge, on ne revient pas d’une erreur qui a duré sept ans, et le livre qui a pris une si longue portion de l’existence, doit, aux yeux de l’auteur, avoir raison contre la critique, surtout si la critique démontrait par malheur que le livre ne vaut rien.

Quoi qu’il en soit, quand M. Granier fut fixé, comme nous l’avons vu, sur le choix de sa monographie, son sujet se trouva naturellement divisé en deux parties, l’histoire des races nobles et l’histoire des races esclaves. L’idée lui vint de commencer par la dernière, quoique l’ordre inverse eût été plus rationnel, et cette idée produisit le livre des Classes ouvrières et des Classes bourgeoises. « Ce volume, nous dit l’auteur lui-même, n’est que la moitié du sujet ; il contient l’histoire des races esclaves prises à leur point de départ et suivies dans toutes les phases de leur fortune sociale. Je donnerai prochainement au public l’histoire des races nobles. »

Voici le plan du livre que M. de Cassagnac a déjà publié. Étonné de trouver l’esclavage à côté du berceau de chaque peuple, M. de Cassagnac se demande d’où peut venir un fait universellement existant dans les premiers siècles de toute nation, et il est amené à conclure que l’esclavage n’a pu naître que dans la famille. Un fait postérieur à l’esclavage et qui en est toujours le résultat inévitable, c’est l’affranchissement. M. Granier suit donc les esclaves émancipés et les voit bientôt se diviser « en deux grandes colonnes, » dont l’une va se grouper dans les cités et l’autre se disperser dans les campagnes. Là chaque division se constitue et s’organise. Les affranchis de la cité, ou les bourgeois, forment une association administrative qui donne naissance à la commune, et une association industrielle qui donne naissance à la jurande. Les affranchis de la campagne, ou les paysans, forment, de leur côté, une association administrative qui produit des villages et des bourgades soumis à

  1. Préface, pag. 30