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REVUE DES DEUX MONDES.

— Viens, me dit Goullin ; présenté par nous, tu seras bien reçu, et tu verras la citoyenne Caron.

— La maîtresse de Carrier ?

— Oui, une syrène qui vous ferait marcher sur la tête.

J’acceptai : Carrier demeurait alors à l’extrémité de Richebourg ; sa maison était gardée avec soin, et il fallut nous faire reconnaître pour que la sentinelle nous permît d’entrer. Nous trouvâmes le représentant sur le palier avec une jeune fille en larmes qui le suppliait.

— Tu aimes les aristocrates, disait-il ; moi, j’aime les jolies femmes ; je t’ai dit à quelle condition ton frère sortirait de prison : complaisance pour complaisance !

En parlant ainsi, il voulut lui prendre les mains ; la jeune fille recula.

— Je ne veux pas d’un malheur en faire deux, dit-elle avec un noble désespoir.

— Alors va au diable, s’écria brutalement Carrier ; aussi bien je n’aime pas les blondes.

Nous arrivions dans ce moment.

— Tiens ! s’écria Goullin, c’est la petite Brevet ; vient-elle encore demander la permission de porter du pain à son frère ?

— Hélas ! accordez-moi au moins cette grace, dit-elle en se retournant, les mains jointes, vers Carrier.

— Au fait, continua Goullin, donne-lui cette permission ; il est juste que son frère mange aujourd’hui ; hier, il a assez bu…

La jeune fille releva la tête avec un cri ; Goullin et Pinard éclatèrent de rire.

— Est-ce vrai ? balbutia-t-elle éperdue… Michel !… vous l’avez noyé ?…

— Puisque je t’offrais sa grace, imbécile ! dit Carrier en haussant les épaules.

Elle poussa un cri et tendit les bras pour chercher un appui. Je voulus la soutenir, mais Carrier me retint.

— Qu’on jette dehors cette bégueule, dit-il, et que la sentinelle passe sa baïonnette au travers du ventre de tous ceux qui auront quelque chose à me demander ; je ferme la boutique pour aujourd’hui.

À ces mots, il nous fit entrer au salon, où je trouvai la plupart de ceux que j’avais déjà vus au Café du vrai Sans-Culotte. Je fus alors présenté à Carrier.

— Est-ce un patriote solide ? demanda-t-il en arrêtant sur moi ses