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qu’une suite de bienfaits et de dévouemens. Comme on en tirait parti, on l’avait habitué à compter sur l’efficacité de ses soins ; et cette confiance que j’étais loin de partager me le rendait importun à l’excès. Cependant un sentiment de justice, que l’athéisme n’avait pu détruire en moi, me forçait à le supporter avec patience et à le traiter avec douceur. Quelquefois, dans les commencemens, je m’étais emporté contre lui, et je l’avais chassé de ma cellule. Au lieu d’en être offensé, il s’affligeait de me laisser seul en proie à mon mal ; il nasillait une longue prière à ma porte, et, au lever du jour, je le trouvais assis sur l’escalier, la tête dans ses mains, dormant à la vérité, mais dormant au froid et sur la dure, plutôt que de se résigner à passer dans son lit les heures qu’il avait résolu de me consacrer. Sa patience et son abnégation me vainquirent. Je supportai sa compagnie pour lui rendre service ; car, à mon grand regret, nul autre que moi n’était malade dans le couvent ; et, lorsque Christophore n’avait personne à soigner, il était l’homme le plus malheureux du monde. Peu à peu, je m’habituai à le voir lui et son petit chien, qui s’était tellement identifié avec lui, qu’il avait tout son caractère, toutes ses habitudes, et que, pour un peu, il eût préparé la tisane et tâté le pouls aux malades. Ces deux êtres remuaient et dormaient de compagnie. Quand le moine allait et venait sur la pointe du pied, autour de la chambre, le chien faisait autant de pas que lui ; et, dès que le bonhomme s’assoupissait, l’animal paisible en faisait autant. Si Christophore faisait sa prière, Bacco s’asseyait gravement devant lui, et se tenait ainsi fronçant l’oreille, et suivant de l’œil les moindres mouvemens de bras et de tête dont le moine accompagnait son oraison. Si ce dernier m’encourageait à prendre patience, par de niaises consolations et de banales promesses de guérison prochaine, Bacco se dressait sur ses jambes de derrière, et, posant ses petites pattes de devant sur mon lit avec beaucoup de discrétion et de propreté, me léchait la main d’un air affectueux. Je m’accoutumai tellement à eux, qu’ils me devinrent nécessaires autant l’un que l’autre. Au fond, je crois que j’avais une secrète préférence pour Bacco, car il avait beaucoup plus d’intelligence que son maître ; son sommeil était plus léger, et surtout il ne parlait pas.

Mes souffrances devinrent si intolérables, que toutes mes forces furent abattues. Au bout d’une année de ce cruel supplice, j’étais tellement vaincu, que je ne désirais plus la mort. Je craignais d’avoir à souffrir encore plus pour quitter la vie, et je me faisais, d’une vie sans souffrance, l’idéal du bonheur. Mon ennui était si grand, que je