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avec une clé les deux battans de l’éternité à quiconque plie le genou devant sa discipline, en disant : Admettez-moi !

C’est ainsi que je parlais, et alors un rire amer s’emparait de moi ; et, jetant par terre les sublimes écrits des pères de l’église et ceux des philosophes spiritualistes de toutes les nations et de tous les temps, je les foulais aux pieds dans une sorte de rage, en répétant ces mots favoris d’Hébronius où je croyais trouver la solution de tous mes problèmes : Ô ignorance, ô imposture !

— Tu pâlis, enfant, dit Alexis en s’interrompant ; ta main tremble dans la mienne, et ton œil effaré semble interroger le mien avec anxiété. Calme-toi, et ne crains pas de tomber dans de pareilles angoisses : j’espère que ce récit t’en préservera pour jamais.

Heureusement pour l’homme, cette pensée de Dieu, qu’il ignore et qu’il nie si souvent, a présidé à la création de son être avec autant de soin et d’amour qu’à celle de l’univers. Elle l’a fait perfectible dans le bien, corrigible dans le mal. Si, dans la société, l’homme peut se considérer souvent comme perdu pour la société, dans la solitude l’homme n’est jamais perdu pour Dieu ; car, tant qu’il lui reste un souffle de vie, ce souffle peut faire vibrer une corde inconnue au fond de son ame, et quiconque a aimé la vérité a bien des cordes à briser avant de périr. Souvent les sublimes facultés dont il est doué sommeillent pour se retremper comme le germe des plantes au sein de la terre, et, au sortir d’un long repos, elles éclatent avec plus de puissance. Si j’estime tant la retraite et la solitude, si je persiste à croire qu’il faut garder les vœux monastiques, c’est que j’ai connu plus qu’un autre les dangers et les victoires de ce long tête-à-tête avec la conscience, où ma vie s’est consumée. Si j’avais vécu dans le monde, j’eusse été perdu à jamais. Le souffle des hommes eût éteint ce que le souffle de Dieu a ranimé. L’appât d’une vaine gloire m’eût enivré ; et, mon amour pour la science trouvant toujours de nouvelles excitations dans le suffrage d’autrui, j’eusse vécu dans l’ivresse d’une fausse joie et dans l’oubli du vrai bonheur. Mais ici, n’étant compris de personne, vivant de moi-même, et n’ayant pour stimulant que mon orgueil et ma curiosité, je finis par apaiser ma soif et par me lasser de ma propre estime. Je sentis le besoin de faire partager mes plaisirs et mes peines à quelqu’un, à défaut de l’ami céleste que je m’étais aliéné ; et je le sentis sans m’en rendre compte, sans vouloir me l’avouer à moi-même. Outre les habitudes superbes que l’orgueil de l’esprit avait données à mon caractère, je n’étais point entouré d’êtres avec lesquels je pusse sympathiser : la grossièreté ou