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tions à un avocat de Paris : celui-ci commence par faire saisir les exemplaires partout où il les trouve ; puis, il traduit les délinquans devant les tribunaux français, qui estiment le délit et appliquent les lois françaises, de même que s’il s’agissait des œuvres de Châteaubriand. Cet exemple répond à tous les cas imaginables. Ce système répressif est si simple, que l’étranger ne pourrait le repousser sans s’accuser lui-même de déloyauté. Il n’impose ni modification des coutumes, ni surveillance active : justice est faite à quiconque la demande, et voilà tout.

Une difficulté se présente ici. Le droit des auteurs, nous dira-t-on, n’est que temporaire, et le temps de la jouissance n’est pas égal en tous pays. Or, devant un tribunal étranger, fera-t-on preuve de propriété suivant la loi du pays où cette propriété aura été primitivement établie, ou d’après celle qui régit le contrefacteur ? Traduisons ce problème par un fait. Les éditeurs de l’Angleterre, où le droit des auteurs n’est que viager, ne se croiront-ils pas autorisés à réimprimer les œuvres d’un auteur prussien, après la mort de celui-ci, quoiqu’en Prusse la possession trentenaire soit admise ; et dans le cas où le propriétaire allemand se plaindrait en contrefaçon devant les tribunaux britanniques, devrait-on punir des Anglais en vertu d’un droit qui n’est pas reconnu chez eux ? Nous n’hésitons pas à répondre négativement. Un accusé ne peut être contraint que par ses juges naturels : un juge ne peut pas appliquer une autre loi que celle de son pays. S’il en était autrement, tous les auteurs de l’Europe iraient se mettre sous la protection de la loi la plus favorable, et le peuple qui accorderait un plus long terme de jouissance, accaparerait le monopole de la fabrication. Il pourra paraître bizarre qu’en vertu de ce principe, un livre tombé dans le domaine public en Angleterre soit encore une propriété en France ; mais le droit des gens donne souvent lieu à de pareilles anomalies. Par exemple, un négociant anglais pourrait-il refuser les fruits d’une somme qu’il aurait empruntée à un Turc, sous prétexte que la loi musulmane ne permet pas le prêt à intérêt ? Non, certainement : mais changeons les rôles ; faisons du débiteur le créancier, et transportons la cause de Londres à Constantinople : à coup sûr, la poursuite de l’Anglais sera repoussée par le cadi. Ne nous arrêtons pas trop long-temps sur des difficultés que nous avons dû prévoir en théorie, mais qui ne se présenteront peut-être jamais dans la réalité. D’ailleurs, la reconnaissance mutuelle de la propriété littéraire conduirait forcément tous les états européens à la constituer sur une base uniforme.

Le droit de frapper le contrefacteur ou le débitant son complice par les lois de son pays offre-t-il, au commerce en général, et spécialement aux éditeurs français, sécurité pleine et entière ? Nous répondrons qu’elle assimile l’Europe entière à la France, et qu’on ne peut pas raisonnablement demander plus. Dans l’état présent des choses, la surveillance n’est pas plus efficace de près que de loin. Un éditeur parisien n’a pas plus l’œil à Bayonne ou à Marseille qu’à Londres ou à Saint-Pétersbourg. Il n’est averti des atteintes por-