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Au cri d’alarme de la librairie parisienne, une honorable sympathie s’est manifestée. Le gouvernement s’est empressé de nommer une commission de jurisconsultes, d’hommes de lettres et de négocians. Les publicistes ont fourni leur contingent d’articles et de brochures. Or, toutes les opinions émises peuvent se ramener à trois systèmes principaux.

1o Quelques personnes, et particulièrement des spéculateurs, ont déclaré que la reproduction des livres français par les étrangers était un mal sans remède, ou du moins que le remède devait être emprunté aux méthodes homéopathiques. Les Français, a-t-on dit, ne peuvent lutter avantageusement contre la contrefaçon qu’en se contrefaisant eux-mêmes. En conséquence, on a proposé d’établir sur la frontière une librairie nationale, consacrée spécialement à l’exportation. Mais n’est-il pas révoltant de payer un produit français quatre fois plus cher que le consommateur allemand, par la seule raison qu’on est Français ? En second lieu, ou on accordera une indemnité à l’auteur, et dès-lors la concurrence deviendra impuissante, puisque les charges seront inégales ; ou l’auteur ne sera pas rétribué, en quel cas on ne ferait qu’aggraver le mal, au lieu de le détruire. Ce moyen, d’ailleurs, que la désunion des libraires rend impraticable, est déjà condamné par plusieurs expériences.

2o Quelques publicistes ont déclaré que la France a droit de parler haut en Belgique, et qu’en retour des sacrifices que nous avons faits pour consacrer son indépendance, nous pouvons exiger du gouvernement belge l’anéantissement d’une industrie qui nous cause préjudice. Cet avis est formellement exprimé dans une brochure de M. Bignon, adressée à M. Didot. — « Si les Belges, y est-il dit, différaient quelque temps encore de prendre l’initiative, la France devrait poursuivre l’effet de sa demande avec une vigueur de volonté qui ne comportât point de résistance. Ce serait, dira-t-on, user de contrainte. Nous n’en disconvenons pas. Trop souvent, c’est par la contrainte qu’il a fallu imposer à certains peuples l’accomplissement des obligations les plus morales. » — D’autres conseillers, moins belliqueux, voudraient seulement qu’on achetât la répression des contrefacteurs par un échange de concessions commerciales. Mais peut-on sacrifier une industrie à l’autre ? En admettant même qu’on parvînt à faire expulser de Bruxelles les imprimeurs qui s’enrichissent à nos dépens, n’iraient-ils pas s’établir plus loin ?

3o Une troisième proposition, à laquelle on s’arrête parce qu’elle laisse entrevoir vaguement une chance de succès, est celle qui tend à faire consacrer par le droit des gens le principe du respect mutuel de la propriété littéraire. La commission, présidée par M. Villemain, a particulièrement insisté sur ce point, et les conclusions de son rapporteur ont inspiré l’article 18 du projet de loi qui est ainsi conçu :

« Tous ouvrages en langue française ou étrangère, publiés pour la première fois à l’étranger, ne pourront, soit du vivant de l’auteur, soit après sa mort, avant l’expiration d’un terme fixé par les traités, être réimprimés en