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DOCUMENS INÉDITS SUR ANDRÉ CHÉNIER.
lorsqu’il n’a l’air que de les imiter, il a réellement observé lui-même. On sait le joli fragment :

Fille du vieux pasteur, qui, d’une main agile,
Le soir remplis de lait trente vases d’argile,
Crains la génisse pourpre, au farouche regard…

Eh bien ! au bas de ces huit vers bucoliques, on lit sur le manuscrit : Vu et fait à Catillon près Forges, le 4 août 1792, et écrit à Gournay le lendemain. Ainsi le poète se rafraîchissait aux images de la nature, à la veille du 10 août[1].
Deux fragmens d’idylles, publiés dans l’édition de 1833, se peuvent compléter heureusement, à l’aide de quelques lignes de prose qu’on avait négligées ; je les rétablis ici dans leur ensemble.
LES COLOMBES.

Deux belles s’étaient baisées… Le poète berger, témoin jaloux de leurs caresses, chante ainsi :

« Que les deux beaux oiseaux, les colombes fidèles,
Se baisent. Pour s’aimer les dieux les firent belles.
Sous leur tête mobile, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l’éclat.
Leur voix est pure et tendre, et leur ame innocente,
Leurs yeux doux et sereins, leur bouche caressante.
L’une a dit à sa sœur : — Ma sœur .....

(Ma sœur, en un tel lieu, croissent l’orge et le millet…)

L’autour et l’oiseleur, ennemis de nos jours,
De ce réduit, peut-être, ignorent les détours,
Viens…

(Je te choisirai moi-même les graines que tu aimes, et mon bec s’entrelacera dans le tien.)

...............
L’autre a dit à sa sœur : Ma sœur, une fontaine
Coule dans ce bosquet ........

  1. On se plaît à ces moindres détails sur les grands poètes aimés. À la fin de l’idylle intitulée la Liberté, entre le chevrier et le berger, on lit sur le manuscrit : Commencée le vendredi au soir 10, et finie le dimanche au soir 12 mars 1787. La pièce a un peu plus de cent cinquante vers. On a là une juste mesure de la verve d’exécution d’André : elle tient le milieu, pour la rapidité, entre la lenteur un peu avare des poètes sous Louis XIV et le train de Mazeppa d’aujourd’hui.