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DE L’IRLANDE.

comme exigeant trop d’avances, et remplissant moins sûrement le seul objet que se propose le laboureur, celui de vivre. Cette préoccupation est, en effet, la seule que connaisse le malheureux paysan d’Irlande ; il ne nourrit pas d’autre espérance, il n’entretient pas d’autre pensée que celle-là.

Un pareil état de choses était grave en tout temps ; il devint horrible lorsque la population, augmentant dans une proportion sans exemple, les familles se touchèrent jusque dans les comtés les plus sauvages. On vit alors un peuple affamé employer tous les moyens, jusqu’aux plus odieux, pour conserver des lambeaux de terre dont le prix de location dépassa dans la pauvre Irlande le fermage même de la riche Angleterre.

Ici se présenterait le problème de cette multiplication sans exemple, problème que nous ne tenterons pas de résoudre, quoique les faits que nous venons d’indiquer y projettent peut-être quelque lumière.

Le partage égal, universellement consacré parmi la population irlandaise, l’usage de morceler le sol affermé entre tous les enfans, lorsqu’ils sont en âge de fonder une famille, enfin l’impossibilité absolue de vivre autrement qu’en bêchant quelques sillons chacun pour son propre compte, ont amené les choses au point de transformer le sol de l’Irlande en un vaste champ de pommes de terre. D’un autre côté, l’on comprend que ces habitudes de petite culture aient été le plus puissant stimulant à l’accroissement de la population, et que des familles se soient établies à mesure que les tenures se sont subdivisées. Dans les comtés de Clare et de Limerick, entre autres, on cite d’innombrables exemples de fermes de trois cents et cinq cents acres, primitivement tenues à bail de quarante ans par une seule famille, et qui se trouvent maintenant morcelées entre vingt ou trente ménages nouveaux, en raison du partage et des précoces mariages des enfans[1].

De récentes mesures législatives ont mis des bornes au droit désastreux de subdiviser et de sous-louer les fermages, et sont probablement destinées à exercer sur l’avenir une influence favorable. Mais les faits actuels subsistent ; les résultats sortis d’une oppression séculaire pressent de toutes parts le législateur ; ils font trembler chaque jour sur la sécurité du lendemain. L’Irlande où le capital agri-

  1. Voyez, parmi le grand nombre d’excellens travaux consacrés à l’Irlande par l’Edinburgh-Review, une dissertation complète sur la situation des classes agricoles dans ses rapports avec la législation civile. Janvier 1825.