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convient de s’arrêter un moment aux résultats généraux mis en lumière par les documens publiés, en tant que ces résultats trouvent leur explication naturelle et nécessaire dans les faits historiques que nous venons de rappeler.

L’une des premières conséquences des incapacités affectant la masse de la population irlandaise avait été d’établir l’usage général des sous-locations à court délai, puisque le fermier catholique ne pouvait prendre des terres à bail au-delà d’un terme déterminé. Leur résultat nécessaire fut de priver de tout capital la classe agricole, et de lui enlever ce qui fait le nerf de l’agriculture anglaise, ce qui lui a permis de prendre des développemens prodigieux. De plus, les restrictions imposées jusqu’au siècle dernier, dans l’intérêt de la Grande Bretagne, au commerce de l’Irlande, l’interdiction d’exporter ses blés, son bétail et ses laines, seules richesses d’un peuple sans industrie, avaient hâté une ruine que les lois civiles auraient suffi pour consommer.

Par suite de l’impossibilité où était placée la population rurale de prendre en son nom et à son compte des tenues de quelque valeur, le sol entier se trouva subdivisé en petites portions à peu près égales, et chaque fermier la reçut en sous-location d’un fermier-général (middleman), spéculateur sans entrailles, qui remplaça pour lui le propriétaire absent et inconnu. Aucune famille n’étant en mesure de faire d’avances de quelque importance pour l’achat du mobilier de culture, chacune d’elle se trouva occuper à peu près l’espace qu’elle pouvait labourer par ses propres bras. Il y eut peu ou point de laboureurs à gage, parce que les tenanciers étaient trop pauvres pour solder en argent le prix des journées de travail, et tout le monde devint fermier, mais fermier misérable, sans autre perspective que de demander au sol de quoi alimenter une vie de souffrances. Lorsqu’on se trouva dans le cas de recourir à des bras étrangers, l’usage prévalut même de les payer en terres, c’est-à-dire de donner quelques acres en échange d’un nombre déterminé de journées de travail, et ceci hâta de plus en plus la subdivision de tenures déjà trop petites.

Dès-lors, dans un pays où l’argent ne circule jamais, ainsi que l’attestent pour plusieurs comtés nombre de témoignages produits devant les comités d’enquête, dans une contrée où toute industrie est ignorée, où toute autre ressource que le travail agricole échappe à l’activité humaine, il fallut nécessairement mourir de faim lorsqu’on n’eut pas sa petite part de terre. Aussi, dans plusieurs provinces irlandaises, la culture des céréales est-elle aujourd’hui abandonnée