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nuler toutes les conventions hypothécaires arrêtées par lui ? De tels résultats éclairèrent même la haine la plus aveugle. Quelle que fût la violence avec laquelle le corps des protestans exigea le maintien des lois pénales et des incapacités civiles, on s’empressait individuellement d’y réclamer des exceptions, dans l’intérêt et pour la sûreté des relations personnelles. De là, une multitude de conventions secrètes et de fraudes de tous genres, sorte de contrebande judiciaire, imposée par l’extrême rigueur de la loi, comme la contrebande marchande est déterminée par l’élévation des tarifs. Le gouvernement dut agir à cet égard comme les particuliers eux-mêmes. Si jusqu’au milieu du XVIIIe siècle il ne se passa guère d’années sans que le parlement de Dublin n’acquît quelque titre de plus aux malédictions de sa patrie, le pouvoir ne put manquer de fermer les yeux sur la non-exécution d’un code qui, pris au pied de la lettre, eût entraîné la dissolution immédiate de la société. Mais, lors même que les lois n’étaient pas vigoureusement appliquées, elles restaient comme un obstacle à toutes les ambitions légitimes, comme une menace perpétuelle et un stygmate de servitude : c’était le gage d’une dépendance sans cesse rappelée par l’insolence des vainqueurs, alors même que leur égoïsme leur imposait l’obligation d’en atténuer les effets.

C’était surtout parmi les laboureurs indigènes que le mal était profond et que les mœurs allaient s’altérant de plus en plus par l’établissement d’anarchiques habitudes, passées désormais à l’état chronique dans le tempérament de ce peuple. Suppléant à leur faiblesse par un ensemble qui n’a jamais été surpassé, cherchant une distraction à leur misère dans la sombre poésie dont le crime et le péril enivrent l’ame et la fascinent, les paysans formèrent, sur tous les points de l’Irlande, ces associations secrètes qui, sous le nom de Whiteboys, de Rightboys, d’Oakboys, de Thraskers, de Rockistes, etc., ont exercé, depuis 1760 jusqu’à ce moment, une influence aussi redoutable que mystérieuse.

Aucune pensée politique proprement dite ne présidait à ces complots formés la nuit au fond d’une forêt, et qui ne se révélaient au matin qu’à la vue d’un domaine en flammes ou d’un cadavre gisant au bord d’une route écartée. Punir les rigueurs exercées soit par les intendans, soit surtout par les collecteurs de dîmes, empêcher la clôture des terrains consacrés à la vaine pâture, obtenir des terres à un prix modéré de location, s’en assurer la jouissance contre quiconque songerait à en débouter les tenanciers actuels ; tel était le but de ces associations que le secret et l’audace rendaient