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DE L’IRLANDE.

du pouvoir lui-même. L’acte de suprématie fut donc envoyé en Irlande, où il souleva des résistances dont ni les révolutions ni les siècles n’ont triomphé. Si les évêques des villes du littoral, soumis à la royauté parce qu’ils étaient choisis par elle, firent, avec ceux d’Angleterre, assaut de complaisance et de bassesse, une vigoureuse résistance s’organisa dans tout le clergé indigène ; résistance à laquelle s’associa la plus grande partie du clergé anglo-irlandais lui-même. La réformation rencontra les plus sérieux obstacles dans les limites même du pale, où un établissement de quatre siècles avait créé aux colons des intérêts complètement distincts de ceux de l’île voisine.

Les natifs, étrangers aux mœurs comme à la langue de l’Angleterre, et sur lesquels les apôtres de la réforme ne pouvaient exercer aucune action ; les vieux colons, blessés dans leur foi autant que dans leur liberté politique par le despotisme des théories anglicanes, et qui n’avaient pas respiré dans les palais des Tudors l’air de la servitude, se trouvèrent avoir un intérêt commun à défendre une idée nationale où se rattacher ensemble et pour la première fois. De là, cette nécessité où se vit réduite l’Angleterre de fonder, pour ainsi dire, un établissement nouveau, en superposant de nouvelles colonies à celles qui avaient commencé, depuis le XIIe siècle, l’œuvre si difficile, de la soumission de l’Irlande. Jacques Ier voua tout son règne à cette pensée, qui eut pour objet d’implanter des populations nombreuses et avancées en civilisation au centre d’un pays jusqu’alors barbare et souvent désert. Chaque fois qu’un chef indigène se refusait à faire hommage à la couronne, ou qu’un prétexte quelconque permettait d’employer contre lui l’arme légale de la forfaiture, des domaines, qui souvent étaient des provinces, se trouvaient concédés à des compagnies d’industriels protégés par une force militaire. Ainsi se fondèrent successivement, au commencement du XVIIe siècle, les établissemens anglais dans toutes les parties de l’île ; ainsi fut organisée la grande colonie d’Ulster, le principal point d’appui du protestantisme en Irlande, après la rébellion des deux principaux chefs du nord, sur lesquels la couronne ne confisqua pas moins de cinq cent mille acres de terre.

Le mode d’après lequel s’opérèrent ces concessions ne manquait pas d’habileté, et leurs résultats ont exercé sur les habitudes générales de la population une influence encore sensible. Ces terres étaient divisées en lots n’excédant jamais deux mille acres, et ne s’élevant pas, pour l’ordinaire, à plus de moitié de cette étendue. Diverses conditions étaient imposées aux concessionnaires : les prin-