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tron des institutions de l’île voisine, encore que l’élément monarchique dût exercer en Irlande une bien moindre action que dans la Grande-Bretagne. Au bord de la Tamise, la royauté partout présente opposait des forces organisées dans le sein même des vieilles populations saxonnes aux ambitieuses coalitions de ses vassaux normands ; au bord du Shannon, la royauté absente était représentée par un délégué contraint de traiter avec des hommes chez lesquels l’orgueil de leur descendance anglaise et un mépris profond de l’Irlande s’unissaient à des mœurs que le contact de la barbarie avait rendues plus d’à moitié sauvages ; fonctionnaire revêtu d’un pouvoir à peine reconnu dans les comtés attenant à la capitale, et condamné à servir les passions de colons ignorans et méprisables, au lieu d’être l’agent éclairé d’une politique nationale.

Le parlement de Dublin était originairement composé des grands feudataires et des évêques, auxquels on adjoignit plus tard des députés de ces villes maritimes dont la population, mi-partie anglaise et mi-partie norvégienne, avait pris des accroissemens de plus en plus rapides. Cette législature exerçait un pouvoir sur lequel le parlement d’Angleterre, comme conseil immédiat du souverain, prétendit toujours un droit de suprématie, motif en raison duquel il y eut également appel des cours de justice de Dublin à celle du banc du roi à Londres.

Pendant sa longue carrière, la législature irlandaise agit constamment sous la même préoccupation. Elle voulait en même temps atteindre par ses lois de fer la race indigène, dont l’anéantissement était le dernier mot de sa politique, et prévenir tout contact de la population coloniale avec ce peuple voué à une impitoyable extermination. De là des statuts dont le sens véritable échappe à qui ne les embrasse pas de ce point de vue, et ne comprend pas que les envahisseurs de l’Irlande mirent autant de soin à se tenir séparés de la population native que ceux de l’Angleterre en prirent pour l’absorber dans une commune unité. C’est ainsi que dans le cours du XIVe siècle[1] des lois sont portées pour interdire, sous peine de haute trahison et de confiscation, tout mariage entre Anglais et Irlandais, tout rapport établi, soit par l’allaitement, soit en tenant des nouveau-nés sur les fonts du baptême, genre d’affinité que ce peuple estimait aussi étroite et plus sacrée que la paternité même. D’autres statuts écartent les fils d’Érin de toutes les maisons reli-

  1. Assemblée de Kilkenny, 1367.