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DE L’IRLANDE.

suffit de songer au temps pour ne pas s’étonner qu’elle manquât aussi de lumière.

Au lieu d’asseoir les destinées de la terre conquise sur la fusion graduelle des deux races, elle procéda par des voies tout opposées. Pendant qu’elle maintenait avec rigueur l’oppression des natifs, on la vit concéder à un certain nombre d’entre ceux-ci, pour prix de leur soumission ou de leurs services, le titre et la qualité d’Anglais avec tous les priviléges attachés au sang des vainqueurs ; système analogue à celui qui prévalait dans l’Amérique espagnole et portugaise, où des noirs étaient déclarés blancs par lettres patentes, et relevés ainsi de la flétrissure qui les atteignait au berceau. Que ne valait pas une telle prérogative en un siècle et en un pays où le bénéfice sacré de la justice et des lois était restreint à ceux qui pouvaient invoquer une origine anglaise ou une concession équivalente ? Les sauvages natifs (the wild Irish), pour parler la langue officielle qui s’est conservée presque jusqu’à nos jours, restaient en effet en dehors d’une société qui ne les connaissait que comme les objets d’une guerre éternelle. En parcourant l’histoire de ce pays, on tombe à chaque instant sur des faits et sur des textes que l’on dirait détachés des tables d’airain de la loi décemvirale.

Cette manière de relever de leur déchéance quelques chefs et quelques tribus était sans doute vicieuse en soi, puisqu’elle maintenait ce qu’il aurait fallu détruire. Cependant elle eût fini par produire des résultats avantageux, si ce mode de naturalisation avait pu recevoir toute l’extension que les rois d’Angleterre auraient vraisemblablement essayé de lui donner ; car rien n’établit que ces princes ou leurs lieutenans en Irlande se refusassent à faire jouir du bénéfice de la loi anglaise les Irlandais qui le réclamaient. Mais un invincible obstacle à cette émancipation se rencontra dans un corps que l’histoire peut justement flétrir comme le principal instrument des calamités de sa patrie, le parlement anglo-irlandais. Celui-ci repoussa toujours avec véhémence l’admission des indigènes au bénéfice du droit commun ; il maintint avec un soin jaloux la réprobation légale qui légitimait par elle seule ses plus coupables violences. Ce fut ainsi qu’on le vit, sous Édouard Ier et sous Édouard III, résister énergiquement aux vœux de la royauté, et se refuser d’étendre à des clans qui la sollicitaient comme une grace, la jouissance d’une législation dont l’effet eût été de rendre leurs propriétés moins précaires et leurs têtes plus respectées.

La constitution irlandaise s’était naturellement façonnée sur le pa-