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geances de cannibales, étaient le résultat quotidien d’un état de choses qui, s’il donnait peut-être à l’étranger plus de facilité pour vaincre, lui interdisait de tirer aucun fruit durable de sa victoire. À ces causes d’éternelle mobilité venaient se joindre des coutumes antiques dont l’influence rendait impossible toute organisation permanente de la société, et qui maintenait la population dans des habitudes pastorales et presque nomades.

Au premier rang de ces institutions dont la funeste action s’est fait sentir jusque dans les temps modernes, un historien judicieux[1] place, avec raison, le tanistry et le gavelkind. On sait que l’organisation par clan existait en Irlande comme parmi toutes les populations gaéliques, et que la loi du tanistry combinait de la façon la plus fâcheuse le droit héréditaire avec celui d’élection, en n’accordant au tanist qu’un titre éventuel, toujours soumis à la sanction des membres de son clan. Les querelles domestiques qu’une telle loi ne pouvait manquer de susciter et qui se vidaient toujours par la force, entretenaient ainsi dans la nation un esprit opposé à tout établissement assis sur des bases solides. Le gavelkind était un mode de tenure d’après lequel les terres étaient partagées sans condition de primogéniture, non pas en descendant directement à tous les enfans, selon nos idées modernes, mais en faisant d’abord retour au clan où elles étaient réunies en une masse commune. Alors, à des époques déterminées, le canfinny en faisait une nouvelle répartition, dans laquelle il assignait, peut-être selon des règles aujourd’hui inconnues, peut être selon son caprice, leur portion respective aux divers chefs de famille. Un tel système, par l’incertitude qu’il laissait planer sur la propriété, était, on le comprend, aussi funeste à tous les progrès de l’agriculture que contraire à toute organisation régulière de la société. Cette coutume se maintint, jusqu’au temps de Jacques Ier, au sein des populations indigènes ; et sir John Davies, lord chef justice d’Irlande sous ce règne, dans un livre qui est encore la source la plus abondante et la plus sûre d’informations[2], affirme même que, de son temps, on reconnaissait à leur aridité absolue les districts où s’appliquait alors le gavelkind.

Livré à des luttes interminables et à des habitudes désordonnées, le peuple irlandais, sans arts, sans industrie, habitant des huttes construites en terre, et ne voyant s’élever sur son littoral que quelques

  1. Le docteur John Lingard, tom. I, chap. V.
  2. Davies’Discovery of the true causes why Ireland were never entirely subdued, till his majesty happy reign.