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historique. On a reproché avec amertume au pape Adrien d’avoir donné les mains à la sujétion de la nation irlandaise, qui jusqu’alors s’était tenue isolée de Rome comme du reste du monde, mettant son indépendance sous la garde de sa barbarie. Mais d’où serait donc sortie cette magnifique unité que l’Europe dut au saint-siége, si celui-ci ne s’était fait le centre des intérêts comme des idées, et s’il n’avait osé préférer parfois aux individualités faibles et sans ressort les races dépositaires des germes de puissance et d’avenir ? Rome a toujours cherché à s’appuyer sur la force, nous l’accordons sans peine au grand écrivain qui a dressé contre sa politique l’acte le plus spécieux d’accusation[1] ; mais un tel système ne s’explique-t-il pas par la seule raison que l’unité était le but de tous ses efforts et sa préoccupation la plus constante ? Comment Grégoire VII eût-il réalisé son œuvre immense, la restauration de la société spirituelle au sein de l’Europe dominée par la force militaire, si ce pontife et ses successeurs à la tiare n’avaient rallié à la tige de la chrétienté toutes ces individualités indépendantes, toutes ces églises éparses, branches sans sève plus d’à moitié fanées, lorsque Hildebrand fonda le système européen sur le hardi développement de l’idée catholique ?

Quelque poétiques tableaux qu’on se plaise à tracer de la position antérieure de l’Irlande, dont les monastères, en effet, servirent un moment de refuge à la science religieuse pendant la crise continentale des Ve et VIe siècles, il est incontestable que vers le temps où la flotte anglaise débarqua sur ses rivages, protégée par une bulle pontificale, le clergé irlandais touchait à un degré d’ignorance voisin de la barbarie. Les plaintes éloquentes de saint Bernard et une multitude de faits constatés par tous les documens contemporains attestent qu’une réforme, opérée dans le but de rattacher l’Irlande au saint-siége, pouvait seule y sauver cette discipline ecclésiastique par laquelle le catholicisme a vécu jusqu’à nos jours. Que Rome ait cédé à cette pensée, qu’elle ait fait acte de déférence envers un pouvoir qu’il était nécessaire de ménager, que ces vues diverses se soient plus ou moins combinées pour déterminer sa conduite, c’est là un problème que le publiciste n’a pas intérêt à résoudre ; mais ce qui doit rester bien établi pour arriver à une appréciation exacte des évènemens, en remontant jusqu’à leur principe, c’est l’entraînement qui poussait la Grande-Bretagne sur l’Irlande, l’impossibilité où était un peuple à peu près sauvage de garder long-temps son indépen-

  1. M. Augustin Thierry.