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dans votre intérêt, que vous étiez mari et femme avant le fatal combat des Ciampi (c’est le nom qu’on donnait dans le pays au combat que nous avons décrit). — Le vieillard s’interrompit parce qu’il s’aperçut que Jules fondait en larmes.

— Montons à l’auberge, dit Jules. — Scotti le suivit ; on leur donna une chambre où ils s’enfermèrent à clé, et Jules demanda au vieillard la permission de lui raconter tout ce qui s’était passé depuis huit jours. Ce long récit terminé :

— Je vois bien à vos larmes, dit le vieillard, que rien n’a été prémédité dans votre conduite ; mais la mort de Fabio n’en est pas moins un événement bien cruel pour vous. Il faut absolument qu’Hélène déclare à sa mère que vous êtes son époux depuis long-temps.

Jules ne répondit pas, ce que le vieillard attribua à une louable discrétion. Absorbé dans une profonde rêverie, Jules se demandait si Hélène, irritée par la mort d’un frère, rendrait justice à sa délicatesse ; il se repentit de ce qui s’était passé autrefois. Ensuite, à sa demande, le vieillard lui parla franchement de tout ce qui avait eu lieu dans Albano le jour du combat. Fabio ayant été tué sur les six heures et demie du matin, à plus de six lieues d’Albano, chose incroyable ! dès neuf heures on avait commencé à parler de cette mort. Vers midi on avait vu le vieux Campireali, fondant en larmes et soutenu par ses domestiques, se rendre au couvent des Capucins. Peu après, trois de ces bons pères, montés sur les meilleurs chevaux de Campireali, et suivis de beaucoup de domestiques, avaient pris la route du village des Ciampi, près duquel le combat avait eu lieu. Le vieux Campireali voulait absolument les suivre ; mais on l’en avait dissuadé, par la raison que Fabrice Colonna était furieux (on ne savait trop pourquoi), et pourrait bien lui faire un mauvais parti s’il était fait prisonnier.

Le soir, vers minuit, la forêt de la Faggiola avait semblé en feu : c’étaient tous les moines et tous les pauvres d’Albano qui, portant chacun un gros cierge allumé, allaient à la rencontre du corps du jeune Fabio.

— Je ne vous cacherai point, continua le vieillard en baissant la voix comme s’il eût craint d’être entendu, que la route qui conduit à Valmontone et aux Ciampi…..

— Eh bien ? dit Jules.

— Eh bien ! cette route passe devant votre maison, et l’on dit que lorsque le cadavre de Fabio est arrivé à ce point, le sang a jailli d’une plaie horrible qu’il avait au cou.