Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/289

Cette page a été validée par deux contributeurs.
285
L’ABBESSE DE CASTRO.

remplissait la chambre de lumière. Hélène ne savait plus quel signe elle pouvait se permettre ; il lui semblait qu’il n’en était aucun qui ne dît beaucoup trop.

Honteuse, elle rentra dans sa chambre en courant. Mais le temps se passait ; tout à coup il lui vint une idée qui la jeta dans un trouble inexprimable : Jules allait croire que comme son père elle méprisait sa pauvreté ! Elle vit un petit échantillon de marbre précieux déposé sur sa table, elle le noua dans son mouchoir, et jeta ce mouchoir au pied du chêne vis-à-vis sa fenêtre. Ensuite, elle fit signe qu’on s’éloignât ; elle entendit Jules lui obéir ; car, en s’en allant, il ne cherchait plus à dérober le bruit de ses pas. Quand il eut atteint le sommet de la ceinture de rochers qui sépare le lac des dernières maisons d’Albano, elle l’entendit chanter des paroles d’amour ; elle lui fit des signes d’adieu, cette fois moins timides, puis se mit à relire sa lettre.

Le lendemain et les jours suivans, il y eut des lettres et des entrevues semblables ; mais, comme tout se remarque dans un village italien, et qu’Hélène était de bien loin le parti le plus riche du pays, le seigneur de Campireali fut averti que tous les soirs, après minuit, on apercevait de la lumière dans la chambre de sa fille, et, chose bien autrement extraordinaire, la fenêtre était ouverte, et même Hélène s’y tenait comme si elle n’eût éprouvé aucune crainte des zinzare (sorte de cousins extrêmement incommodes et qui gâtent fort les belles soirées de la campagne de Rome. Ici je dois de nouveau solliciter l’indulgence du lecteur. Lorsque l’on est tenté de connaître les usages des pays étrangers, il faut s’attendre à des idées bien saugrenues, bien différentes des nôtres). Le seigneur de Campireali prépara son arquebuse et celle de son fils. Le soir, comme onze heures trois quarts sonnaient, il avertit Fabio, et tous les deux se glissèrent, en faisant le moins de bruit possible, sur un grand balcon de pierre qui se trouvait au premier étage du palais, précisément sous la fenêtre d’Hélène. Les piliers massifs de la balustrade en pierre les mettaient à couvert jusqu’à la ceinture des coups d’arquebuse qu’on pourrait leur tirer du dehors. Minuit sonna ; le père et le fils entendirent bien quelque petit bruit sous les arbres qui bordaient la rue vis-à-vis leur palais, mais, ce qui les remplit d’étonnement, il ne parut pas de lumière à la fenêtre d’Hélène. Cette fille, si simple jusqu’ici et qui semblait un enfant à la vivacité de ses mouvemens, avait changé de caractère depuis qu’elle aimait. Elle savait que la moindre imprudence compromettait la vie de son amant : si un seigneur de l’importance de son père tuait un pauvre homme tel que Jules Branciforte, il en