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L’ARABIE.

milieu de laquelle part une autre ligne qui divise l’Arabie de l’ouest à l’est, et cherche le golfe Persique. Dans l’intérêt de tous comme dans le sien, Mohammed-Aly devrait se contenter de la première. Il est bien évidemment le gardien obligé des deux villes saintes, la Mecque et Médine, et le gendarme-né des deux grandes routes qui y aboutissent, l’une d’Égypte, l’autre de Syrie. Mais je me hâte d’observer que ces deux grandes routes, parallèles sur les trois quarts de leur longueur, peuvent se réduire à une seule, à partir de l’Ackabah au nord du golfe élanitique, ce qui n’allongerait que d’une quantité insignifiante le voyage des pèlerins de Damas. — Aujourd’hui, les communications sont parfaitement libres entre le Caire et la Mecque, et la route est si sûre, qu’un voyageur européen, sans autre escorte que son guide et sans autre arme offensive ou défensive que le courbâdje qui lui sert à accélérer l’amble de son dromadaire, peut aller de relais en relais, depuis les bords du Nil jusque dans le cœur du Hidjâz, jusqu’à Tâïf, le jardin de la Mecque, aussi tranquillement qu’il pourrait faire trois cents lieues en Europe, à travers les contrées où la police est véritablement protectrice.

Les tribus échelonnées sur le littoral occidental, depuis l’Ackabah jusqu’à Djeddah, terme de mon premier voyage en Arabie, sont réduites à un territoire si aride, si improductif, que de tous temps elles ont dû chercher un supplément de bien-être dans le droit évident et imprescriptible (aux yeux du Bédouin) de rançonner les caravanes, et en général elles l’ont exercé avec succès. Mais ici-bas le fait l’emporte sur le droit, et si, comme à présent, il n’y a plus de voyageur à dévaliser, plus de caravane à rançonner, il ne reste aux Hawâïtât, aux Béli, aux Djouhaynah, aux Harb, que la ressource des temps héroïques, c’est-à-dire les ighârât (expéditions), ou, comme on dit aujourd’hui chez les Béli, le nahb (la déprédation), par quoi il faut entendre des courses lointaines et périlleuses, ayant pour objet d’enlever le plus de chameaux que l’on peut aux tribus avec lesquelles on n’est point en relations d’amitié. Nos Bédouins de la grande route du Haddj ne s’en font pas faute et je le conçois ; car les profits licites qu’ils peuvent obtenir en qualité de chameliers (et ce sont les seuls) ne suffisent point à la satisfaction de leurs besoins. La location de leurs chameaux couvre à peine l’achat du riz qui forme la base de leur nourriture ; et quoique leur équipement n’ait rien de somptueux, je ne sais où ils trouvent de quoi l’entretenir. Voilà les hommes que Mohammed-Aly a mis à la