Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/251

Cette page a été validée par deux contributeurs.
247
L’ARABIE.

créancier s’en contentera, parce qu’il sait que cette buchette vaut une obligation par-devant témoins. — Un homme du désert apprend que quelqu’un, après avoir invoqué sa protection, est tombé sous le coup d’un ennemi, loin du lieu où se trouvait le protecteur invoqué : celui-ci se croit tenu de poursuivre le meurtrier jusqu’à extinction de la tribu d’où le coup est parti, ou de la tribu outragée dans son protectorat. — Un homicide, un homme poursuivi par la haine ou la justice, vient se réfugier dans une famille avec laquelle il n’a aucune relation de parenté, où l’on n’avait jamais entendu parler de lui. N’importe ; il est accueilli. De ce moment, la vie du réfugié devient pour cette famille quelque chose de plus précieux que la vie de ses membres, et ses intérêts passent avant les leurs. — Quant au reproche que tu fais aux Arabes de tuer leurs enfans au berceau pour ne pas les voir mourir de faim, il faut observer que les seuls enfans du sexe féminin sont exposés à une mort violente, et que le motif qui engage quelques parens à s’en défaire est — ou la crainte qu’une fille en grandissant ne devienne l’opprobre de sa famille, — ou une jalousie outrée, une pudeur excessive, qui n’est pas rare chez les Arabes. L’homme qui marie sa fille a honte de la livrer à son époux ; il lui est pénible de voir passer son enfant dans les bras d’un étranger qui aura le droit de la fouler. — Tu as dit que le mets le plus exquis des Arabes est la viande de chameau, et tu l’as représentée comme une nourriture grossière. Apprends, ô roi, que si la plupart des Bédouins rejettent les autres viandes, c’est qu’ils les jugent fort inférieures à celle du chameau : ce que vous estimez, ils le méprisent, et voilà tout. Le chameau représente à la fois leur monture et leur nourriture. Sous ce dernier aspect, il leur offre le lait le plus délicat que l’on connaisse, et la viande la plus abondante, la plus succulente, la plus grasse, la plus tendre et la plus salutaire ; car, sous quelque rapport qu’on la compare aux autres viandes, on reconnaît que l’avantage est de son côté. — Les guerres intestines, les courses déprédatrices de tribu à tribu, constituent l’existence normale des Arabes, et il est certain qu’ils préfèrent cet état violent à un gouvernement régulier dont la première condition serait d’obéir à un roi. Mais cette préférence prouve en leur faveur ; car si les autres sociétés se soumettent à l’autorité d’un seul homme, c’est de leur part un aveu de faiblesse. Les individus dont ces sociétés se composent ne lui confèrent la puissance souveraine que parce qu’ils se sentent incapables de se gouverner eux-mêmes, de se faire respecter les uns des autres et de l’étranger. La crainte d’être envahis les engage à se donner pour