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SPIRIDION.

une religion et une philosophie, se voient forcés de braver le principe de la tolérance. Au temps où tu vivras, homme de l’avenir, à qui j’adresse à la fois ma justification et mon enseignement, sans doute, la science de la vérité aura fait un pas ; songe donc à ce que tes pères ont eu à souffrir, courbés sous le fardeau de leur ignorance et de leur incertitude, en traversant ce désert aux limites duquel ils t’ont si péniblement conduit ! Et si l’orgueil de ta jeune science te fait contempler avec un sourire de pitié les combats misérables où nous avons consumé notre vie, arrête, et frémis en songeant à ce que tu ignores encore et au jugement que tes descendans porteront de toi et de ton siècle. Sache-le, et apprends à respecter tous ceux qui, cherchant sincèrement leur route, ont erré sur des sentiers perdus, tourmentés par l’orage et fortement éprouvés par la main sévère du Tout-Puissant. Sache-le bien, et prosterne-toi, car tous ceux-là, même les plus égarés, sont des saints et des martyrs.

« Sans leurs conquêtes et sans leurs défaites, tu serais encore plongé dans les ténèbres. Oui, leurs revers et leurs égaremens même ont droit à ton respect, car l’homme est faible ; et, pour franchir des abîmes, il lui faut faire des efforts au-dessus de sa nature. De là vient que son élan l’entraîne au-delà du but, lorsque sa faiblesse ne l’a pas trahi sur le bord du précipice. Quel est donc celui de vous qui sera assez puissant et assez sage en même temps pour dire à son esprit ce que l’Éternel a dit aux flots de la mer, selon la Genèse : — Tu iras jusqu’ici, et tu n’iras pas plus loin ! — Homme de l’avenir, si tu peux saluer de tels hommes autour de toi, pleure sur nous, obscurs travailleurs, victimes ignorées, qui, par des souffrances mortelles et des labeurs inconnus, avons préparé le règne de tes contemporains ! Pleure sur moi qui, ayant aimé la justice avec passion et cherché la vérité avec persévérance, ouvris les yeux pour la première fois au moment de les fermer pour jamais, et m’aperçus que j’avais travaillé vainement à soutenir une ruine, à m’abriter sous une voûte dont les fondemens étaient écroulés. Disciple du grand Bossuet, j’ai cru m’arrêter sous l’ombre de ce chêne robuste ; mais j’ai vu le chêne se dessécher au souffle de la tyrannie qu’il avait protégée, et périr victime des poisons que son écorce avait nourris. J’ai compris que c’en était fait de l’église romaine, que l’église gallicane n’avait point de principe vital, que la religion du Christ était souillée, que la doctrine du Christ était incomplète, que le Christ devait prendre place au panthéon des hommes divins ; mais que sa tâche était accomplie, et qu’un nouveau messie devait se lever, un nouvel