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SPIRIDION.

tions librement acceptées par la famille humaine et favorables à son développement. Le troisième, applicable à la vie intérieure de l’individu : devoir de se perfectionner soi-même en vue de la perfection divine, et de chercher sans cesse pour soi et pour les autres les voies de la vérité, de la sagesse et de la vertu.

Ces entretiens et ces enseignemens furent au moins aussi longs que le récit qui les avait amenés. Ils durèrent plusieurs jours, et nous absorbèrent tellement l’un et l’autre, que nous prenions à peine le temps de dormir. Mon maître semblait avoir recouvré, pour m’instruire, une force virile. Il ne songeait plus à ses souffrances et me les faisait oublier à moi-même ; il me lisait son livre et me l’expliquait à mesure. C’était un livre étrange, plein d’une grandeur et d’une simplicité sublime. Il n’avait pas affecté une forme méthodique ; il avouait n’avoir pas eu le temps de se résumer, et avoir plutôt écrit, comme Montaigne, au jour le jour, une suite d’essais où il avait exprimé naïvement, tantôt les élans religieux, tantôt les accès de tristesse et de découragement sous l’empire desquels il s’était trouvé. J’ai senti, me disait-il, que je n’étais plus capable d’écrire un grand ouvrage pour mes contemporains, tel que je l’avais rêvé dans mes jours de noble, mais aveugle ambition. Alors, conformant ma manière à l’humilité de ma position, et mes espérances à la faiblesse de mon être, j’ai songé à répandre mon cœur tout entier sur ces pages intimes, afin de former un disciple qui, ayant bien compris les désirs et les besoins de l’ame humaine dont je suis un type douloureux, consacrât son intelligence à chercher le soulagement et la satisfaction de ces désirs et de ces besoins, dont tôt ou tard, après les agitations politiques, tous les hommes sentiront l’importance. Expression plaintive de la triste époque où le sort m’a jeté, je ne puis qu’élever un cri de détresse afin qu’on me rende ce qu’on m’a ôté : une foi, un dogme et un culte. Je sens bien que nul encore ne peut me répondre et que je vais mourir hors du temple plein de trouble et de frayeur, n’emportant pour tout mérite, aux pieds du juge suprême, que le combat opiniâtre de mes sentimens religieux contre l’action dissolvante d’un siècle sans religion. Mais j’espère, et mon désespoir même enfante chez moi des espérances nouvelles ; car, plus je souffre de mon ignorance, plus j’ai horreur du néant, et plus je sens que mon ame a des droits sacrés sur cet héritage céleste dont elle a l’insatiable désir…

C’était la troisième nuit de cet entretien, et, malgré l’intérêt puissant qui m’y enchaînait, je fus tout à coup saisi d’un tel accablement,