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témérité de vivre encore et de brûler pour l’idéal, ce feu divin ne servira plus qu’à consumer tes entrailles et à éclairer ton impuissance et ta nullité !

Et en parlant ainsi, je m’agitais sur mon lit de douleur, et des larmes de rage coulaient sur mes joues. Alors une voix pure s’éleva dans le silence de la nuit et me parla ainsi :

— Crois-tu donc n’avoir rien à expier, toi qui oses te plaindre avec tant d’amertume ? Qui accuses-tu de tes maux ? N’es-tu pas ton seul, ton implacable ennemi ? À qui imputeras-tu la faute de ton orgueil coupable, de cette insatiable estime de toi-même qui t’a aveuglé quand tu pouvais approcher de l’idéal par la science, et qui t’a fait chercher ton idéal en toi seul ?

— Tu mens ! m’écriai-je avec force, sans songer même à me demander qui pouvait me parler de la sorte. Tu mens ! Je me suis toujours haï ; j’ai toujours été ennuyeux, accablant, insupportable à moi-même. J’ai cherché l’idéal partout avec l’ardeur du cerf qui cherche la fontaine dans un jour brûlant ; j’ai été consumé de la soif de l’idéal, et si je ne l’ai pas trouvé…

— C’est la faute de l’idéal, n’est-ce pas ? interrompit la voix d’un ton de froide pitié. Il faut que Dieu comparaisse au tribunal de l’homme et lui rende compte du mystère dont il a osé s’envelopper, pendant que l’homme daignait se donner la peine de le chercher, et vous n’appelez pas cela l’orgueil, vous autres !…

— Vous autres ! repris-je frappé d’étonnement ; et qui donc es-tu, toi qui regardes en pitié la race humaine, et qui te crois, sans doute, exempt de ses misères ?

— Je suis, répondit la voix, celui que tu ne veux pas connaître, car tu l’as toujours cherché où il n’est pas.

À ces mots, je me sentis baigné de sueur de la tête aux pieds ; mon cœur tressaillit à rompre ma poitrine, et, me soulevant sur mon lit, je lui dis :

— Es-tu donc celui qui dort sous la pierre ?

— Tu m’as cherché sous la pierre, répondit-il, et la pierre t’a résisté. Tu devrais savoir que le bras d’un homme est moins fort que le ciment et le marbre. Mais l’intelligence transporte les montagnes, et l’amour peut ressusciter les morts.

— Ô mon maître ! m’écriai-je avec transport, je te reconnais. Ceci est ta voix, ceci est ta parole. Béni sois-tu, toi qui me visites à l’heure de l’affliction. Mais où donc fallait-il te chercher, et où te retrouverai-je sur la terre ?

— Dans ton cœur, répondit la voix. Fais-en une demeure où je