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ébranché ainsi des objets d’une utilité consacrée, pourquoi les remplacer par des matières ridiculement parasites ? Au lieu d’une mention pour les illustrations locales, savez-vous ce que nous donne M. Balbi ? On ne le croirait jamais. La Charte de 1830 ; oui, la charte avec ses annexes. L’Angleterre va réclamer, sans doute ; on lui doit la mention du pacte d’Alfred-le-Grand ; les États-Unis exigeront à leur tour l’insertion du bill des droits, et il est possible que la Porte élève la même prétention en faveur du Koran, qui est sa loi politique. Ce n’est pas tout ; après avoir introduit violemment la Charte dans sa géographie, M. Balbi imagine de couvrir du même prétexte un vaste enseignement technologique. Il explique donc, et fort au long, à ses lecteurs, ce que sont les terres et domaines de la couronne, la liste civile, les apanages, les droits régaliens, les péages, les monopoles, les contributions, les amendes, les confiscations, les sportules. Il explique ce qu’on entend par crédit public, fonds, papier monnaie, amortissement ; il va jusqu’à donner des axiômes économiques. « Le commerce, dit-il, est actif lorsque l’état vend à l’étranger beaucoup plus de marchandises qu’il n’en achète ; il est passif si l’état achète plus qu’il ne vend. » Pour émettre de semblables et aussi neuves définitions, ce n’était guère la peine de se déranger de son chemin. Mais, une fois lancé, M. Balbi ne s’arrête plus ; il verse la lumière par torrens, réchauffe, éclaire et féconde tout ce qui se trouve sur sa voie ; il continue à expliquer ce qu’est l’armée de terre et de mer, ce que sont les manufactures ; ce que représentent les mots caravane, foire, bourse, ville, échelle, colonie, marine, capitale, bourg, village. Encore un élan et il allait dire ce que sont une place, une rue, un carrefour, un clocher, une boutique, un porche, une cave. La lexicographie est un enseignement qui mène loin, et sous le manteau d’une géographie, on courait la chance d’avoir un vocabulaire. Heureusement, M. Balbi s’est contenu ; il n’a pas voulu ruiner Boiste et Lavaux. Comme revanche, il s’est donné le plaisir, à quelques pages de là, de mentionner une classification fort curieuse du genre humain dont il fait, avec l’un de ses savans inconnus, des anthropophages, des frugivores, des omnivores, des carnivores, des acridophages (mangeurs de sauterelles), des géophages (mangeurs de terre). Voyez-vous d’ici ces peuples qui ne mangent absolument que de la terre ou des sauterelles. Diviser l’humanité d’après l’alimentation, c’était là une idée hardie. Il fallait, sans doute, du courage pour la concevoir ; mais il en fallait bien plus encore pour la reproduire.

Passons du plaisant au sévère. Il est assez d’usage, quand on écrit