Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/182

Cette page a été validée par deux contributeurs.
178
REVUE DES DEUX MONDES.

Après l’érudition de M. Balbi, jugeons sa critique. A-t-il, parmi des documens contradictoires et nombreux, sainement distingué, sainement choisi ? A-t-il montré en ceci le discernement, la sagacité nécessaire ? Le triage des matières a-t-il été fait avec tout le goût désirable et dans la ligne qui convenait ? L’auteur a-t-il dominé ses autorités ou leur a-t-il obéi ? Les a-t-il passées à un crible intelligent pour rejeter celles qui lui paraissaient trop légères ? En géographie tout mérite s’efface devant celui-là. Sans ce contrôle judicieux, la science est une monnaie de bas aloi, dont un œil exercé découvre facilement l’alliage. Le voyageur est un être si divers, si mobile, si impressionnable ; il trompe le lecteur avec un aplomb si parfait, il se trompe lui même avec une bonne foi si naïve ! Avant de se fier à lui, même pour des riens, il faut l’étudier, deviner ce qu’il est comme tempérament, comme capacité, comme nationalité, comme humeur ; savoir d’où il vient et où il va, prendre ses impressions à leur source et s’assurer qu’aucune cause personnelle n’en a altéré le caractère. Tel voyageur n’abuse son public que parce qu’il s’abuse lui-même ; tel autre, plus vain et plus fanfaron, se fait un piédestal de ce qu’il décrit ; il en est qui sont enclins à tout exagérer, d’autres à tout amoindrir ; ceux-ci ont le sens mathématique, et mesurent ; ceux-là ont l’instinct poétique, et colorent. En général, dans chacun d’eux, si médiocre qu’il soit, il y a une corde vraie, et c’est celle-là qu’il faut faire résonner ; elle donne le ton de l’individu. On le devine quand il se tait, on le rectifie quand il dénature. D’ailleurs, ce que l’examen partiel peut laisser encore dans l’ombre, la comparaison le met bientôt au jour, et ainsi, de document en document, de voyageur en voyageur, un esprit droit et pénétrant arrive à la presque certitude des choses, tantôt par l’induction seule, tantôt par la mise en regard des observations corrélatives.

Il nous serait doux de reconnaître dans M. Balbi cette qualité fondamentale du géographe ; mais est-il possible d’oublier avec quel entraînement et quelle crédulité il a abondé dans les récits fantastiques dont M. Douville berçait naguère le monde savant ; avec quel empressement il s’est approprié ce voyage imaginaire pour en faire ressortir une topographie nouvelle et tout un système orographique qu’il nomme le système nigritien ? Certes, après les révélations concluantes que M. Lacordaire a insérées dans cette Revue, il n’était plus permis à personne de se faire illusion sur les travaux de M. Douville, et cependant l’Abrégé (édition de 1833) en parle encore comme d’une exploration importante. Est-ce ignorance des faits ? Est-ce entête-