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assez se défendre de ce penchant au merveilleux, caractère des âges d’ignorance. On voit reparaître, dans leurs récits, quelques fables qu’on dirait empruntées aux époques mythologiques. Ce n’est plus, comme dans Hésiode et dans Hérodote, des fourmis gardiennes de sables aurifères, ou des bœufs garamantes qui paissent à reculons ; mais c’est, chez Marco-Polo, des montagnes de rubis-balai et de lapis-lazuli ; chez Carpin, une grande muraille d’or massif ; chez Oderic de Portenau, des oiseaux à deux têtes ; enfin, chez Mandeville, chevalier anglais et conteur imperturbable, un fruit prodigieux récolté à Chadissa, fruit qui s’ouvre de lui-même quand il est mûr, et présente un agneau sans sa laine, excellent à manger. Au XVe siècle de notre ère, la géographie en est encore à son point de départ, aux féeries.

Mais ici la science s’illumine de rayons soudains ; comme la loi du Sinaï, elle se révèle au milieu des éclairs et de la foudre. Ses deux Moïse sont Colomb et Vasco de Gama. Depuis long-temps sans doute le pressentiment d’un autre vaste continent avait dû s’emparer d’esprits supérieurs, et la trace de ces soupçons, plus poétiques que positifs, plus vagues que formels, se retrouve dans Sénèque, dans Possidonius, dans Strabon, dans Pomponius Méla et dans Chrysippe. Il y a plus : la découverte positive de l’Amérique aurait pu passer, même au Xe siècle, pour un fait acquis ; car, dès ce temps, des Islandais avaient colonisé le Groënland, et l’un d’eux, Leif Ericson, avait pu reconnaître, vers le sud-ouest, une côte que l’on estime être celle du Canada. D’autre part, et si l’on en croit des autorités qui se plaisent aux hypothèses scientifiques, l’Afrique, longtemps avant l’exploration portugaise, aurait été doublée deux fois, et relevée dans tout son périmètre, la première fois par les Égyptiens de Néchos, la seconde par les Arabes. Mais que veut-on induire de ces insinuations dont la valeur et la portée laissent tant de prise à la controverse ? Que Colomb et Vasco de Gama sont deux plagiaires ? On ne l’oserait pas.

Ce qui inspira ces hardis pilotes du XVe siècle ce fut moins le bruit vague d’un succès antérieur que leur confiance dans une navigation chaque jour plus savante et plus perfectionnée. L’art des constructions navales commençait alors à sortir de sa longue enfance, et les vaisseaux, mieux membrés, osaient perdre de vue les côtes, pour aller, dans la haute mer, affronter la violence des vents et le courroux des vagues. Les instrumens nautiques se ressentaient de ce mouvement ; Martin Behain, gouverneur de Fayal, venait de vul-