Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.
159
VOYAGEURS ET GÉOGRAPHES MODERNES.

turent sur des mers orageuses leurs barques hardies et fragiles ; les Scandinaves découvrent l’Islande, les îles Feroë, et plus tard le Groënland. Les pirates normands infestent toutes les côtes que baigne l’Atlantique ; ils visitent les Açores, Madère et Ténériffe. Des sagas consacrent ces expéditions téméraires : Snorron, Adam de Brème, les recueillent, et le roi Alfred ne dédaigne pas de traduire de sa main les deux voyages du Norvégien Other et du Danois Wulfstan dans les pays scandinaves. La navigation quelque peu suspecte des frères Zeni se rattache à cet ordre de travaux et de recherches.

Ainsi placée entre la civilisation d’Odin et celle de Mahomet, que fait l’Europe chrétienne, cette héritière directe de la tradition antique ? Elle sommeille toujours. Pourtant, vers le XIIIe siècle, une pensée de propagande semble la réveiller. De pauvres frères mineurs, comme Carpin et Rubruquis, Anscaire et Ascelin, sont lancés dans diverses directions pour gagner des ames à Dieu. L’un parcourt le nord de l’Europe ; les autres, infatigables missionnaires, s’engagent dans le cœur même de l’Asie, que vient de bouleverser la grande dynastie mongole. Du Dniéper au fleuve Jaune, on ne reconnaît plus qu’un maître : c’est le khan. Il a soumis un continent entier au joug de l’unité la plus despotique. Soit curiosité, soit calcul, les voyageurs se portent tous alors sur ce point. Benjamin de Tudèle a ouvert la marche ; Lucimel et Ricoldt l’ont suivi ; Marco-Polo, qu’on a nommé à bon droit le Humboldt du moyen-âge, y paraît à son tour, pour faire place à Pegoletti, à Mandeville, à Clavijo, à Haïthon, à Barbaro, à Schilderberg. De tous ces observateurs, Marco-Polo est le seul qui ait vu sainement et raconté judicieusement. Son itinéraire est immense ; il embrasse presque toute l’Asie : la vallée de Kachmir (Chesimur), la petite Boukharie, la Mongolie entière, la Chine (Cathay), dont il décrit les capitales Pékin (Cambelu) et Nankin (Quinsay) ; le Bengale, ou pays de Mien, nom que divers Asiatiques lui donnent aujourd’hui encore ; l’archipel Malais, dont il cite Sumatra (Samara) ; le groupe des Andamans et de Nicobar (Necauvery) ; Ceylan, la presqu’île du Dekkan, les royaumes de Malabar et de Guzurate dans l’Inde, les villes d’Aden, d’Ormus et de Bassora dans la Perse ; puis Madagascar (Magastar), où il place le rock, cet oiseau fabuleux ; le pays des Zinges et des Abyssins (Abascia) ; enfin la Sibérie, limitrophe de ce qu’il nomme le pays des ténèbres, et la Russie (Ruzia), vaste empire tributaire des Mongols. Quel pèlerinage, surtout dans ces temps de confusion et de barbarie ! Malheureusement Marco Polo, et moins que lui les autres voyageurs cités, ne savent pas