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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

En arrivant à Giestvœr, nous trouvâmes toute la famille du marchand réunie pour nous attendre. Marthe et Marie avaient revêtu leur robe neuve, leur tablier de couleur, et le bonnet à rubans bleus qu’elles ne portent qu’aux jours de fête. Dans notre modeste chambre, leur mère avait placé sur la table la jatte de lait que ses vaches venaient de lui donner, et l’on avait préparé avec beaucoup de soin deux lits de plumes pour nous reposer de nos fatigues. Mais nous connaissions déjà trop les contrées du Nord pour ne pas profiter du vent capricieux qui promettait alors d’enfler notre voile, et nous dîmes adieu à regret à cette maison hospitalière où nous avions été reçus avec tant de cordialité. — Adieu pour toujours, murmura Mme Kielsberg en nous serrant la main. — Oh ! non pas pour toujours, s’écrièrent ses enfans. La bonne mère secoua la tête et ne répondit rien. Les jeunes filles s’avancèrent sur la pelouse pour nous saluer encore. En observant cette attitude silencieuse de la mère et celle de ses enfans, il me semblait voir l’expérience triste qui se souvient du passé et l’espérance aventureuse qui regarde vers l’avenir.

Le soir, nous nous arrêtâmes à Havsund. C’est un détroit riant, bordé par deux collines couvertes de verdure. Sur l’une de ces collines s’élève la maison du prêtre de Hammerfest, qui vient ici deux fois par an passer quelques semaines ; sur l’autre, l’église nouvellement bâtie et la demeure du marchand avec ses magasins. La terre ne porte ni plantes potagères, ni arbres ; les nuits d’hiver y sont aussi longues, aussi obscures qu’au Cap-Nord ; mais les observations de température, faites sous la direction de M. Parrot, professeur à Dorpat, présentent ici un résultat curieux. Au mois d’août, le thermomètre ne s’élève pas à plus de dix degrés. Au mois de janvier, par les plus grands froids, il ne descend pas à plus de douze. L’hiver dernier, on en compta une fois treize, mais c’était un évènement extraordinaire. La côte est fort peu habitée, et l’intérieur des montagnes est complètement désert. Toute la paroisse, qui s’étend à plus de vingt lieues de distance, ne renferme que trois cent soixante Lapons et cent vingt Norvégiens. Mais, au mois de mai, un grand nombre de bateaux de Norland, Helgeland et Finmark, se rassemblent dans les environs pour pêcher, et une douzaine de bâtimens russes viennent ici, chaque année, prendre une cargaison de poisson.

Le marchand de Havsund est un homme riche et habile. Dans l’espace de quelques années, il a construit des magasins, il a fondé une fabrique d’huile de poisson. Sa maison, dont il a été lui-même l’architecte, est bâtie avec élégance et ornée avec goût. Tout cela lui donne une satisfaction de propriétaire dont il aime à jouir devant ses hôtes. Il nous promena du comptoir au salon, et à chaque pas il nous regardait comme pour saisir sur nos lèvres une exclamation et dans nos yeux un sentiment de surprise. Mais ceci n’était encore que le prélude de son triomphe. Le soir, tandis que nous étions à table, il s’approche mystérieusement de la pendule dorée, dont il venait d’enlever le globe ; il tire un ressort, et ne voilà-t-il pas que la magique pen-