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LE COMMERCE DÉCENNAL.

sures irréfléchies, des propriétés qui formaient une partie notable de la fortune générale, on a frappé d’autres intérêts que ceux des particuliers. La puissance politique de l’état ne peut que s’amoindrir avec la diminution graduelle des opérations commerciales de nos ports. La création de capitaux nouveaux sera paralysée, et l’éducation des hommes de mer en recevra un notable échec. Sans colonies, la grande pêche, et surtout celle de la morue, devient à peu près inutile. Nous allons jeter un coup d’œil sur les faits qui se rattachent à cette branche de navigation depuis long-temps si hautement protégée.

La pêche de la baleine occupait, année moyenne de 1827 à 1829, 200 hommes d’équipage, et elle rapportait 13,000 quintaux métriques de graisse ou huile de poisson. De 1833 à 1835, le nombre des hommes d’équipage s’est élevé à 600, et les produits rapportés à 30,000 quintaux net, annuellement.

La pêche de la morue occupait 9,000 hommes d’équipage, de 1827 à 1829, et jusqu’à 10,000, de 1833 à 1835. Les produits rapportés dans nos ports donnent, année moyenne, 55,000 quint. met., dont 20,000 vont en Espagne et autres points de la Méditerranée, et le reste est porté dans nos colonies à sucre. Ces colonies, outre les 35,000 quintaux que nous leur dirigeons d’ici, reçoivent encore les cargaisons que nos pêcheurs leur portent directement de Terre-Neuve, et en échange desquelles ils chargent, pour la métropole, des denrées coloniales. Leur consommation totale annuelle des produits de la pêche est évaluée à 80,000 quint. met.

L’état alloue, sous des formes et des conditions diverses, aux armateurs qui entreprennent les voyages de pêche, des primes qui équivalent à 3 ou 400 fr. par année et par homme d’équipage. En d’autres termes, l’état paie le salaire de ces hommes et abandonne aux armateurs le profit de l’entreprise ; et il est tel voyage, à la vérité de longue durée, à la pêche de la baleine, où la prime individuelle d’un matelot est revenue à 14 ou 1,500 fr. D’aussi grands sacrifices ont un but, et déjà ce but a été atteint une fois, car sans la ressource qu’ont offerte les matelots de la pêche, l’expédition d’Alger n’aurait pu avoir lieu. Cette ressource est toujours sous la main du gouvernement, et il ne peut moins faire que de s’appuyer sur elle aux époques où il doit pourvoir à des armemens militaires pour des mers éloignées.

Si la pêche, pour subsister, et surtout celle de la morue, a besoin du secours du gouvernement, elle a également besoin de l’emploi de ses produits. Or, les pays étrangers en consomment à peine le cinquième, et encore n’est-ce que précairement et en se soumettant à des droits exorbitans qui peuvent à chaque instant se changer en prohibition, que nous conservons encore un peu de débouché en Espagne. Le parlement britannique a été saisi dernièrement des réclamations des armateurs anglais contre l’élévation de la taxe imposée par les autorités espagnoles ; mais dans l’état des choses il ne paraît pas que l’habileté de M. G. Villiers ait pu obtenir aucun adoucissement, et si l’Espagne se pacifie, son premier soin sera de renforcer le système de répulsion dont nous lui donnons l’exemple.