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sinistres prédictions du général Lamarque et de M. Mauguin, viendraient-ils faire un crime au ministère actuel de ne pas se montrer plus difficile qu’eux-mêmes sur la dignité, les intérêts et la sécurité du pays ?

Pour rendre à chacun ce qui lui appartient, je ne vous ai pas dissimulé, monsieur, que dans ces dernières négociations, la Belgique n’avait pas trouvé à Londres d’autre appui que celui de la France, et que sans cet appui elle n’aurait pas même obtenu la révision du partage de la dette. Mais quoi, me dira-t-on, vous reconnaissez donc que cette fois l’Angleterre n’a pas fait cause commune avec nous contre les trois autres puissances, comme elle l’avait fait en 1831 et 1832 ! Vous reconnaissez par conséquent que l’alliance anglaise est affaiblie, et vous donnez sur ce point raison à l’opposition, qui accuse précisément le ministère d’avoir compromis cette alliance précieuse, sauvegarde de la liberté européenne. Il n’en est rien. L’alliance anglaise subsiste et produit encore tous les jours les résultats les plus avantageux pour les deux gouvernemens et les deux peuples. Mais l’Angleterre n’a pas, que je sache, pris l’engagement d’être toujours et sur toutes les questions du même avis que la France. Il faudrait pour cela qu’elle eût toujours et sur tout le même intérêt. Un dissentiment sur telle ou telle question entre deux alliés n’est pas une rupture, et chacun d’eux reste libre de ne pas toujours aller aussi loin que l’autre peut vouloir aller. Il n’y a pas une alliance politique dans l’histoire du monde qui n’offre ces nuances de conduite, pour peu que l’alliance ait de durée et principalement si elle est générale, comme notre alliance avec l’Angleterre, c’est-à-dire si elle s’applique à toutes les difficultés qui peuvent surgir entre plusieurs puissances, dans le cours d’un certain nombre d’années. On admettra bien que, dans ce cas, et une fois le but principal atteint, chacun puisse sans trahison et sans déloyauté apprécier différemment ses devoirs, ses intérêts et les exigences de sa position. L’Angleterre a loyalement aidé la France à établir l’indépendance et à constituer le gouvernement de la Belgique. À la fin de 1832, quand il s’est agi de faire exécuter le traité des 24 articles, dans celles de ses dispositions qui étaient favorables au nouvel état, elle a concouru par un blocus maritime à contenir la Hollande, et à faire disparaître du territoire belge la dernière trace de domination étrangère. Si, à la reprise des négociations, elle n’a pas manifesté autant d’empressement que la France pour améliorer la situation de la Belgique, et si cette froideur a peut-être empêché nos efforts d’obtenir encore plus de succès, sans doute, la chose est regrettable ; mais on ne peut raisonnablement y voir une quasi-rupture de l’alliance, une trahison ou une vengeance de l’Angleterre. D’ailleurs, ce n’est pas un fait entièrement nouveau, depuis huit ans, que cette différence d’opinion entre les deux gouvernemens, ce plus ou ce moins, dans l’action ou dans le langage, de la part du ministère britannique. Tout le monde sait qu’en 1831 l’Angleterre n’a pas voulu courir les chances d’une guerre contre la Russie, pour essayer avec nous de sauver la Pologne. C’est que l’Angleterre, quel que soit le parti, whig ou tory, qui la gouverne, fait