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REVUE. — CHRONIQUE.

pouvoir et le point de vue de l’opposition ne donneront jamais les mêmes résultats. Ceux qui auraient intérêt à le contester maintenant l’ont établi autrefois bien plus éloquemment que je ne saurais le faire. Aussi est-il permis de discuter des accusations qui, pour être adoptées en ce moment par quelques-uns des hommes dont la politique a été l’objet d’accusations semblables, n’en ont peut-être pas un meilleur fondement, et se ressentent peut-être trop de la liberté de critique que laisse l’absence de responsabilité.

J’ai besoin, monsieur, pour entrer avec fruit dans cette discussion, de remonter un peu loin. Mais rassurez-vous, je serai court et ne rappellerai le passé qu’autant qu’il le faudra pour l’intelligence et la justification du présent. Vous savez qu’à l’origine de notre gouvernement, deux systèmes de politique extérieure se sont offerts à son choix, le système de paix et le système de guerre ; ou pour mieux dire, le système de fidélité aux traités, de respect pour les engagemens pris avec l’Europe dans des circonstances différentes, et le système de réaction violente contre ces mêmes traités, d’expansion armée au dehors, de conquête matérielle par la force et au profit de la France, ou de conquête morale par la propagation des principes révolutionnaires et à leur profit. Telles sont les deux voies entre lesquelles le nouveau souverain et son gouvernement ont eu à choisir. C’est le premier système qui a été adopté, et celui-là que, pendant plusieurs années, de grands orateurs et de grands ministres ont soutenu et fait prévaloir, par une lutte de tous les jours, contre les passions, les menaces, les emportemens, les prédictions sinistres du parti de la guerre, contre les regrets d’un patriotisme plus ardent qu’éclairé, contre les frémissemens de l’esprit militaire, contre les plus respectables sentimens de l’humanité, contre les inquiétudes les mieux fondées en apparence. Personne n’a oublié ces longues et orageuses séances de la chambre des députés, qui tenaient en suspens les destinées de l’Europe, et dans lesquelles le système du gouvernement, défendu et attaqué par les voix les plus puissantes, a remporté autant de victoires qu’il a livré de combats. Et cependant quelles causes populaires c’était que la cause de la Pologne et la cause de l’Italie ! quel immense intérêt avaient pour nous, pour l’Europe occidentale, pour la civilisation même, le rétablissement de l’antique barrière polonaise contre la formidable ambition de la Russie, et l’indépendance de l’Italie centrale contre l’ambition moins gigantesque, mais bien menaçante aussi, de la cour d’Autriche ! Que d’ardens désirs on excitait en nous, quand on nous parlait de nos frontières naturelles, de la limite du Rhin et de la limite des Alpes, quand on appelait à grands cris une réaction victorieuse de la France contre les désastres de 1814 et de 1815 ! Mais une politique plus sage, plus humaine, plus avare du sang et des trésors de la France, avait prévalu dans les conseils du roi, et c’était au nom de cette politique que la nouvelle dynastie et le nouveau gouvernement commandaient le respect à l’Europe étonnée. Les traités de 1815, on les acceptait, sauf à profiter des évènemens pour élargir le cercle de fer qu’ils avaient tracé autour de nous ;