Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/853

Cette page a été validée par deux contributeurs.
849
EXPÉDITION AU SPITZBERG.

Dès le XVIIe siècle, cette mine avait été révélée au gouvernement danois, et quelques travaux furent entrepris pour en constater la valeur ; mais alors les moyens d’exploitation n’étaient pas aussi faciles qu’ils le sont devenus depuis. On ignorait l’emploi du charbon de terre et le bois était trop cher ; après une étude superficielle de la position de la mine, l’entreprise fut abandonnée, le peuple en parla encore, mais personne n’osa la continuer. En 1825, une femme laponne trouva sur les rochers un morceau de cuivre qui brillait tellement aux rayons du soleil qu’elle le prit pour de l’or ; cet échantillon tomba entre les mains de M. Crowe, alors négociant à Hammerfest, qui le porta en Angleterre. À son retour il savait qu’il y avait des veines de cuivre à Kaafiord, plus riches que celles de Suède ; il visita le sol avec des ingénieurs, reconnut l’étendue des mines et sollicita un privilége d’exploitation. Le gouvernement norvégien se montra très libéral dans ses concessions ; il lui accorda le produit net et exclusif des mines pendant dix ans à partir du jour où il fondrait à Kaafiord le premier lingot ; ce privilége était daté de 1826. En 1827, M. Crowe envoyait déjà en Angleterre plusieurs bâtimens chargés de minerai.

L’exploitation, entreprise avec des capitaux considérables et basée sur une large échelle, obtint bientôt un succès décisif. D’année en année, les travaux devinrent plus importans, le nombre des ouvriers s’accrut, et là où l’on ne comptait naguère pas une habitation humaine, on vit s’élever des maisons, des ateliers, des magasins ; aujourd’hui M. Crowe emploie près de onze cents personnes. C’est une colonie entière qui se suffit à elle-même, qui a son église, son marchand, son médecin, son école, et qui tend à s’agrandir plutôt qu’à diminuer ; le minerai donne trente et quarante pour cent. De l’autre côté du golfe, l’habile directeur de cet établissement a fait creuser une autre mine plus riche encore que la première. Cette année il a commencé à faire des lingots de cuivre et il en a déjà chargé plusieurs bâtimens.

Les mines creusées tout récemment sont loin d’offrir l’aspect grandiose et pittoresque des mines de Danemora et de Fahlun, qui descendent jusque dans les entrailles de la terre ; mais ce qui m’a paru curieux à Kaafiord, c’est de voir cette ruche d’abeilles formée si promptement par la volonté d’un homme et ce mélange d’ouvriers de divers pays et de diverses races, rassemblés sur le même filon, dirigés par la même main. Il y a ici des Russes, des Anglais, des Allemands, des Norvégiens, des Lapons. Chaque année au printemps, il arrive des Suédois et des Finlandais qui travaillent là pendant l’été, vivent pauvrement, épargnent presque tout ce qu’ils gagnent et s’en retournent avec 200 ou 300 francs au commencement de l’hiver. Et tous ces hommes, d’une nature rude, vivent ensemble en bonne intelligence. Il est rare qu’on ait à signaler parmi eux ou une rixe ou quelque autre infraction au réglement. Lorsqu’un pareil cas se présente, les directeurs des mines sont eux-mêmes juges du délit, et si le coupable est condamné à payer une amende, elle retombe dans la caisse des pauvres. En même temps que le maître cherche à maintenir parmi les ouvriers une discipline sévère, il travaille aussi à leur donner des