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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

d’harmonie et une société dramatique. Il y avait même en 1832 une imprimerie et un journal : Finmarkens amtstidende, petite feuille in-4o qui paraissait deux fois par semaine. Ces deux entreprises littéraires n’ont pu se soutenir ; mais on parle de les relever.

L’école latine compte une trentaine d’élèves. Trois professeurs y enseignent l’histoire, la géographie, l’allemand, le français, l’anglais, le grec et l’hébreu. Les maîtres aidés par quelques souscriptions volontaires ont eux-mêmes formé une bibliothèque classique dont la gestion est abandonnée aux élèves.

Les deux sociétés de lecture se composent d’une quarantaine de membres. La première, fondée en 1818, a déjà réuni onze cents volumes. La seconde est abonnée aux principaux journaux d’Allemagne, de Suède et de Danemark.

La société musicale donne chaque hiver quatre grandes soirées et quelques soirées extraordinaires au bénéfice des pauvres.

La société dramatique compte, au nombre de ses membres, toute la société de la ville, hommes et femmes ; son théâtre est d’un aspect peu monumental et ses décorations ne sont ni très larges, ni très variées. Je crois que dans ce moment elles se composent de deux toiles peintes de chaque côté et qui représentent l’intérieur d’une chambre, un coin de rue, une tour et une montagne. La tâche du machiniste consiste à savoir retourner ces toiles à propos et à y joindre quelques accessoires de circonstance. Dans les grandes solennités du théâtre de Tromsœ, on a pu voir ce qu’on voyait au Globe du temps de Shakspeare : un buisson d’épines représentant la forêt de Windsor et une lanterne simulant le clair de lune. Mais ici du moins les misères de l’art ne vont pas jusqu’à donner à un homme un gracieux rôle de jeune femme. Si jamais les membres de cette honorable société ont la hardiesse de mettre à l’étude quelque pièce du poète anglais, il y aura une Juliette aux yeux bleus pour s’écrier : It is no the larke, et une Desdemona pour chanter d’une voix mélancolique la romance du saule. Déjà l’on cite une jeune actrice charmante à voir dans quelques pièces de Holberg, et il en est une autre qui s’est illustrée à jamais par l’intelligence qu’elle a déployée dans les plus jolis vaudevilles de Scribe ; car la société dramatique de Tromsœ joue les vaudevilles de Scribe. Les fils de marchands s’habillent en colonels de la garde, et leurs sœurs s’appellent sept ou huit fois par an marquise ou comtesse ; et c’est ainsi que les habitans de cette côte du nord cherchent à tromper l’ennui de leur hiver, la dureté de leur climat. De Drontheim ici, il n’y a guère que cent lieues de distance, et le changement de température est énorme. Autour de Tromsœ, on ne trouve ni arbres, ni fruits, point d’épis d’orge dans la vallée, point de rameaux de pins sur les montagnes, et si l’on veut avoir un bouquet de fleurs ; il faut le faire éclore dans l’intérieur d’un appartement comme dans une serre chaude. J’ai vu un jour une jeune femme de Tromsœ pleurer en regardant une branche de lilas que son mari lui apportait de Christiania : — oh ! mon Dieu, s’écriait-elle, il y a sept ans que je n’ai rien vu de semblable. — Le souvenir, dit G. Sand, est le parfum de l’ame ; pour cette femme née sous un ciel plus doux, cette fleur à moitié fanée était un souvenir des joies de