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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

ble des influences aristocratiques. Les tories perdent de jour en jour les positions dont ils avaient depuis cinquante ans le monopole. La mort ou la disgrace atteignent leurs créatures dans les cours de justice comme dans les rangs les plus obscurs de l’excise, et ce que M. O’Connell conquiert pour l’Irlande, les réformistes l’obtiennent avec moins d’éclat pour l’Angleterre.

Ils continueront, on peut le croire, de suivre cette marche indiquée par la prudence, et défendront, en lui imposant des concessions, un ministère qu’ils sont dans l’évidente impossibilité de remplacer. Il est difficile pourtant de prévoir ce que le cours des évènemens et des passions peut amener dans une situation aussi flottante. Aujourd’hui que le cabinet whig a usé la force puisée par lui dans l’avénement d’une jeune princesse, en face de la pairie et de l’opposition des communes, enivrées de leurs succès et tout entières à leurs espérances, avec les embarras permanens de la situation intérieure compliqués de ceux qu’on s’est préparés au Canada, comment n’y aurait-il pas des chances ouvertes à toutes les ambitions, des paris à tenir pour les combinaisons les plus inattendues.

Une autre observation se présente ici. Quoique la politique anglaise repose sur un fonds de traditions invariables, la Grande-Bretagne est peut-être, entre tous les états européens, celui où l’imprévu peut changer le plus brusquement le cours naturel des choses. La condition des masses y est tellement précaire, leurs moyens de sustentation sont soumis à des éventualités tellement incertaines, qu’elles peuvent venir poser soudain un poids terrible dans la balance. Qu’une crise commerciale atteigne le crédit public à ses sources, que l’insurrection renaisse au Canada, et que ces difficultés déjà si graves se compliquent d’une lutte avec les États-Unis ; que l’Angleterre ait à faire face aux sacrifices imposés par une guerre maritime et aux dangers qu’entraînerait pour les populations manufacturières la cessation des commandes américaines, et de ce jour aucune garantie ne pourrait rassurer sur le sort de ce pays.

Il ne faut pas sans doute attacher une valeur exagérée à ces manifestations populaires que le dernier déclamateur est habile à provoquer. La table d’où pérorait Camille Desmoulin, dans les groupes du Palais-Royal, était une tribune plus redoutable que les hustings sur lesquels montent les apôtres du suffrage universel dans des meetings de cent mille hommes. À la voix de Desmoulin, le peuple se ruait sur la Bastille, et le résultat ordinaire du speech le plus véhément est une collecte de signatures. Comment ne pas voir cependant que cet