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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

des lois et statuts, aboli certaines actions dont les termes sacramentels exposaient les plaideurs à la perte de leur fortune, par le seul fait d’un mot omis dans une formule barbare ; lorsqu’il a réformé surtout cette cour de chancellerie, dont rien ne saurait faire comprendre à des justiciables français, ni l’arbitraire des décisions ni la lenteur des procédures, et qu’en portant la sape dans ces sombres régions du patronage et de la chicane, il a diminué les frais d’instance de plusieurs millions par année, ce ministère a préparé pour l’avenir des résultats sociaux, tout en ne poursuivant dans le présent que des réformes sans caractère politique.

Les cours ecclésiastiques, l’un de ces innombrables liens entre l’église et l’état, ont subi une refonte qui, sans être complète, en change absolument la physionomie. Les causes qui se rapportent aux dispositions testamentaires seront jugées désormais d’après le droit commun ; et selon les formes de la juridiction ordinaire ; et le pouvoir, encore reconnu à ces tribunaux, quoique tombé en désuétude, d’infliger des peines pour les crimes de diffamation, d’adultère, d’inceste, etc., leur est aujourd’hui formellement enlevé.

Enfin, pour ce qui regarde le conseil privé, où se règlent souverainement les intérêts de toutes les nations soumises au sceptre britannique dans toutes les parties du monde, la substitution d’une cour spéciale composée de plusieurs juges au magistrat qui appliquait seul le vieux droit du duché de Normandie au plaideur de Jersey, en même temps que les textes sacrés des Védas aux peuples du Gange, a été un bienfait véritable, aussi bien qu’une satisfaction donnée à notre principe français de la pluralité des juges, principe repoussé par la loi anglaise à tous ses degrés de juridiction[1].

Que l’Angleterre conserve long-temps ce qui a fait la force de sa législation civile et criminelle, la publicité des débats et la loyauté de son jury. Mais qu’elle ne se fasse nulle illusion ni sur l’arbitraire de ses jurés spéciaux, ni sur le vice de ses juridictions confuses qui rendent la justice presque partout inabordable ; qu’elle comprenne que l’institution d’un ministère public, dont elle est dépourvue, peut être une précieuse garantie pour tous les intérêts privés, sans devenir nécessairement, comme elle affecte de le croire, un instrument de servitude politique ; que son gouvernement mette la justice à la portée de tous les citoyens, et fasse de ses magistrats un corps instruit dans une science accessible à tous, au lieu d’un mystérieux collège d’au-

  1. voyez, sur les réformes judiciaires opérées en 1832 et 1833, la brochure traduite en Français sous ce titre : le Ministère de la réforme et le Parlement réformé. Paris, chez Paulin.