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Des circonstances heureuses ont détourné, depuis six années, ces deux dangers également redoutables. O’Connell, acquis au ministère parce que le ministère est acquis à O’Connell, n’a pas ouvert l’antre d’Éole ; il a laissé passer l’acte de coercition de lord Grey et les rejets réitérés des bills d’Irlande par la pairie, méditant le mode et le moment d’une éclatante revanche. D’un autre côté, des récoltes abondantes, la paix européenne, et surtout le calme de la France, ont exercé sur les masses, en Angleterre, une action pacifique. Les sociétés démagogiques se sont fermées à mesure que les ateliers se sont ouverts, et les efforts infructueux qui se font, en ce moment même, pour agiter les populations industrielles, attestent que, pour quelque temps du moins, la force physique n’influera pas sur l’issue des grandes questions parlementaires. Et cependant combien le cabinet de la réforme, appuyé sur la coalition du whiggisme et du radicalisme modéré, n’a-t-il pas avancé de questions, malgré les efforts d’une opposition formidable ! Combien n’a-t-il pas, même sans en avoir pleine conscience, détaché de pierres des remparts de la gothique forteresse !

Au dehors, l’action de l’Angleterre s’est exercée dans un sens constamment libéral. En Belgique, elle a garanti l’existence d’un peuple placé dans notre immédiate dépendance, sacrifiant en cela les traditions de sa plus vieille politique ; seule, dans la Péninsule, elle a prêté à la cause constitutionnelle un concours sérieux. Dans les colonies, elle a aboli l’esclavage et consacré la sainteté d’un principe au prix de 500 millions, éclatant témoignage de cet esprit religieux qui fait le caractère comme la force de cette grande nation, mesure mal conçue peut-être dans ses détails, mais noble et généreuse jusqu’à l’imprudence. À l’intérieur, ce ministère s’est constamment attaché à rendre moins pénible la condition des masses. S’il n’a pas osé modifier les lois céréales, remanier un système financier qui laisse le revenu libre de tout impôt pour le porter exclusivement sur la consommation, il a, par d’heureuses combinaisons, réduit les taxes les plus accablantes, supprimé d’innombrables sinécures, en continuant de doter abondamment tous les services utiles. Après trois années écoulées au milieu des circonstances les plus difficiles, lord Althorp put, en 1834, présenter au pays plus de 75 millions de dégrèvement répartis sur les objets les plus usuels, bienfait immense qui fut, pour les classes laborieuses, l’application la plus populaire et la mieux comprise de la réforme.

L’Irlande est loin sans doute d’avoir conquis tout ce qu’elle est en