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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

L’ordonnance fut promulguée le 21 février, et Napoléon débarquait le 5 mars. Il s’occupait de tout à l’île d’Elbe, et n’avait pas perdu de vue M. de Fontanes. En passant à Grenoble, il y reçut les autorités et le corps académique, qui en faisait partie ; il dit à chacun son mot, et au recteur il parla de l’université et du grand-maître : — « Mais, sire, répondit le recteur, on a détruit votre ouvrage, on nous a enlevé M. de Fontanes ; » et il raconta l’ordonnance récente. — Eh bien ! dit Napoléon pour le faire parler, et peut-être aussi n’ayant pas très haute idée de son grand-maître comme administrateur, vous ne devez pas le regretter beaucoup, M. de Fontanes : un poète, à la tête de l’université ! » Mais le recteur se répandit en éloges[1]. Napoléon crut volontiers que M. de Fontanes, frappé d’hier et mécontent, viendrait à lui.

Installé aux Tuileries, il songea à son absence ; il en parla. Une personne intimement liée avec M. de Fontanes fut autorisée à l’aller trouver et à lui dire : « Faites une visite aux Tuileries, vous y serez bien reçu, et le lendemain vous verrez votre réintégration dans le Moniteur. — Non, répondit-il en se promenant avec agitation ; non, je n’irai pas. On m’a dit courtisan, je ne le suis pas. À mon âge,… toujours aller de César à Pompée, et de Pompée à César, c’est impossible ! » — Et, dès qu’il le put, il partit en poste pour échapper plus sûrement au danger du voisinage. Il n’alla pas à Gand, c’eût été un parti trop violent, et qu’il n’avait pas pris d’abord : mais il voyagea en Normandie, revit les Andelys, la forêt de Navarre, regretta sa jeunesse, et ne revint que lorsque les cent jours étaient trop avancés pour qu’on fît attention à lui. Toute cette conduite doit sembler d’autant plus délicate, d’autant plus naturellement noble, que, sans compter son grief récent contre le gouvernement déchu, son imagination avait été de nouveau séduite par le miracle du retour et, comme quelqu’un devant lui s’écriait, en apprenant l’entrée à Grenoble ou à Lyon : « Mais c’est effroyable ! c’est abominable ! » —

  1. Bien que M. de Fontanes ne fût pas précisément un administrateur, l’université, sous sa direction, ne prospéra pas moins, grace à l’esprit conciliant, paternel et véritablement ami des lettres, qu’il y inspirait. En face de l’empereur, et particulièrement dans les conseils d’université que celui-ci présida en 1811, et auxquels assistait concurremment le ministre de l’intérieur, M. de Fontanes arrivant à la lutte bien préparé, tout plein des tableaux administratifs qu’on lui avait dressés exprès et représentés le matin même, étonna souvent le brusque interrogateur par le positif de ses réponses et par l’aisance avec laquelle il paraissait posséder son affaire. Son esprit facile et brillant, peu propre au détail de l’administration, saisissait très vite les masses, les résultats ; et c’était justement, dans la discussion, ce qui allait à l’empereur.