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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

haud ignara mali. — On aime, dans un poète virgilien, à entremêler ces considérations au talent, à les en croire voisines.

Les petites pièces délicieuses, à la façon d’Horace, nous semblent le plus précieux, le plus sûr de l’héritage poétique de Fontanes. Elles sont la plupart datées de Courbevoie, son Tibur : moins en faveur (somme toute et malgré le pardon de Fontainebleau) depuis 1809, plus libre par conséquent de ses heures, il y courait souvent et y faisait des séjours de plus en plus goûtés. Les stances à une jeune Anglaise, qui se rapportaient à un bien ancien souvenir, ne lui sont peut-être venues que là, dans cette veine heureuse. Pureté, sentiment, discrétion, tout en fait un petit chef-d’œuvre, à qui il ne manque que de nous être arrivé par l’antiquité. C’est comme une figure grecque, à lignes extrêmement simples, une virginale esquisse de la Vénusté ou de la Pudeur, à peine tracée dans l’agate par la main de Pyrgotèle. Il en faut dire autant de l’ode : Où vas-tu, jeune Beauté ; tout y est d’un Anacréon chaste, sobre et attendri. Fontanes aimait à la réciter aux nouvelles mariées, lorsqu’elles se hasardaient à lui demander des vers :

Où vas-tu, jeune Beauté ?
Bientôt Vesper va descendre ;
Dans cet asile écarté
La nuit pourra te surprendre ;
Du haut d’un tertre lointain,
J’ai vu ton pied clandestin
Se glisser sous la bruyère :
Souvent ton œil incertain
Se détournait en arrière.

Mais ton pas s’est ralenti,
Il s’arrête, et tu chancelles ;
Un bruit sourd a retenti,
Tu sens des craintes nouvelles
Est-ce un faon qui te fait peur ?
Est-ce la voix de ta sœur
Qui t’appelle à la veillée ?
Est-ce un faune ravisseur
Qui soulève la feuillée ?

Dieux ! un jeune homme paraît,
Dans ces bois il suit ta route,
T’appelant d’un doigt discret
Au plus épais de leur voûte ;
Il s’approche, et tu souris ;